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d’un macroglosse ou de la nageoire d’un hippocampe, la plaque photographique ne peut nous renseigner, aussi bien que l’œil, sur la tonalité de l’air où vole cet insecte, ni de la mer où vit ce poisson. Et c’est précisément parce qu’elle est, selon le mot de Janssen, « la rétine du savant » qu’elle n’est pas celle de l’artiste.

Aujourd’hui, les photographes l’ont compris. M. Puyo avoue, à propos de la mise au point, que « l’œil a une faculté d’accommodation très supérieure à celle de l’objectif. » Ces novateurs abandonnent les prétentions des chronophotographes. Ils ne veulent plus que la machine enseigne l’œil. Ils contrôlent les résultats de la machine avec l’œil et repoussent ceux que l’œil n’approuve pas. Ils ne prétendent plus réformer les lois de l’esthétique : ils ambitionnent de s’y soumettre. M. Alfred Maskell, qui est le chef de la jeune école en Angleterre, le dit expressément : « Notre mouvement peut être considéré comme une tendance à traiter les sujets en concordance avec la pratique des autres arts graphiques. » — « Il ne faut pas, déclare M. Robert Demachy, avoir une esthétique particulière pour la photographie et une autre pour la gravure et le dessin. » — MM. Bergon et Le Bègue ajoutent : « Il nous paraît que l’étude de l’esthétique est la préparation indispensable à tout travail. Le photographe va composer comme s’il devait dessiner ou peindre au lieu de photographier. » En ce qui concerne les attitudes fournies par la chronophotographie, M. Puyo ne parle de retenir que celles qui sont « douées de qualités esthétiques. » Cela nous montre assez quelle évolution s’est faite chez les photographes et dans quel sens le mouvement nouveau est dirigé.

C’est dans un sens idéaliste. On ne peut en douter, quand on lit les écrits des novateurs. On le peut encore moins, quand on regarde leurs œuvres. Avoir introduit le sentiment et la pensée dans une opération autrefois automatique ; avoir transformé en un art ce qui était une industrie ; avoir décidé que l’esprit devait diriger la matière, au lieu de se laisser enseigner par elle ; avoir inventé la photographie dirigeable, c’est déjà une entreprise idéaliste. Mais les novateurs sont allés plus loin dans ce sens. Voyant que leurs œuvres valaient surtout par ce qu’ils y avaient mis d’eux, et sentant que, selon le mot de Ruskin. — « Si ce n’est pas un plan humain que vous cherchez, il y a plus de beauté dans l’herbe le long de la route, que dans tout le papier noirci par le soleil que vous rassemblerez durant toute la durée de votre vie », — ils ont hardiment soumis leur vision à un plan très caractérisé. Dans