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oh ! oh ! oh ! et cette autre, un son filé... Maintenant vous connaissez ce chœur. Vous n’en aviez, auparavant, qu’une idée confuse et erronée. C’est la grossièreté de votre ouïe qui fait que ces sons se confondaient en un tout que les ignorans appellent harmonie. Dissociez chaque partie et vous aurez le vrai sens de cet opéra... »

Ainsi du mouvement. L’œil de l’objectif instantané est comme une oreille qui n’entendrait qu’une partie à la fois dans un orchestre. Il voit très bien une des altitudes successives dont se compose un geste, mais il ignore le geste et accomplit ce prodige de saisir, dans le mouvement, l’immobilité ! Une preuve topique nous est donnée par la photographie instantanée d’une roue de voiture. L’œil humain, en voyant une roue, s’aperçoit fort bien si elle tourne ou non. L’instantané, lui, n’en sait rien. Que la roue tourne avec la vitesse d’un phaéton traîné par un cheval au grand trot, ou bien qu’elle soit immobile dans la remise, l’appareil instantané nous en donne exactement la même image[1], Comme il va aussi vite, plus vite même que la roue, elle lui semble toujours immobile. Ce tremblement, cette confusion des lignes des rais qui avertissent nos yeux n’existe point pour lui. Il n’en compte que mieux les rais de la roue, mais il oublie qu’elle tourne. Il perçoit bien une vérité, mais il y a une autre vérité qu’il ne perçoit pas ; — et c’est justement celle dont l’Art a besoin.

C’est que l’objectif voit autrement que notre œil. Il est tantôt plus et tantôt moins perspicace. Il détaille parfois mieux et confond parfois bien davantage. Il découvre, avant le médecin, des taches d’éruption sur un visage qui paraît sain, mais il commet les plus lourdes bévues sur la qualité des étoffes. Comme le dit très bien M. Puyo : « Son analyse implacable reste superficielle et s’en tient aux apparences ; bien plus, ces apparences mêmes, l’objectif tend naturellement à les magnifier et bonnement, il se laisse éblouir par l’éclat faux des strass, par les reflets trompeurs des satinettes et des velours de coton... C’est ainsi que, par une réunion patiente de laissés pour compte et de coupons avariés, le photographe peut rassembler sans grands frais des décors et des costumes qui prennent sur ses épreuves un aspect véritablement somptueux. » Admirable pour déterminer les inflexions de l’aile

  1. Voir, par exemple dans l’Annuaire général et international de Photographie pour 1896, la Diligence à Llandudno, négatif de M. Edgar Pickard, et l’épreuve d’une voiture passant sur la place de la Concorde, p. 64.