Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’inutile que d’impropre à rendre une pensée. Il ne peut remplacer les autres procédés, mais les autres ne le remplacent pas[1].


IV

Où tend ce mouvement d’art en photographie et quelle crainte ou quel espoir pour l’idéalisme doit-il nous donner ? Pour le bien démêler, et quelle évolution singulière il marque dans l’esprit de ses auteurs, il faut se rappeler ce qui l’a immédiatement précédé. Il y a quelques années, nous avons vu de savans photographes, armés d’une grande quantité de documens, venir vers nos artistes et leur enseigner leur métier. Ils avaient inventé, pour surprendre la nature, des instrumens très astucieux et très prompts : des disques percés de fenêtres qui tournaient très vite et vous prenaient des centaines de vues successives d’un homme avant qu’il eût dit : ouf ! puis des boîtes où ils enfermaient des guêpes dont ils avaient doré le bout des ailes pour enregistrer la trajectoire qu’elles décrivaient en volant ; des revolvers et des fusils à objectif qu’ils braquaient sur les oiseaux, — ils l’eussent fait sur des anges ! — non pour les tuer, mais pour savoir quels mouvemens disgracieux ils faisaient dans les airs et pour ôter ainsi à leurs images plus que la vie : la beauté ! En guise de gibecière, ces étranges chasseurs portaient, en bandoulière, une boîte « à escamoter », contenant des plaques de rechange. — Déjà, un médecin de Boulogne avait imaginé de photographier les manifestations des divers sentimens humains qu’il obtenait artificiellement par des applications électriques sur la face insensible d’un malheureux malade d’hôpital, et il avait ainsi démontré que le Laocoon du Vatican ne remuait point du tout les muscles qu’il fallait pour exprimer la douleur. — Nos chronophotographes, eux, démontrèrent de même que, chez les grands maîtres, les chevaux n’avaient jamais galopé congrûment, ni les hommes couru avec vérité, ni les femmes dansé avec sincérité, et certainement pas une colombe venant vers l’arche, ni un Saint-Esprit planant sur Dieu le père, ni un archange, ni un séraphin, ni un

  1. On a vu, par exemple, à l’Exposition du Photo-Club un Soir avant l’orage sur le lac Léman, de M. Verjus, où l’imitation des losanges formés par l’eau était très exacte, ainsi que la sensation du lointain et l’étude des nuages. De même, il fallait un objectif pour saisir dans leur multiplicité les moirures des sables dans la Plage au pays de Galles, de M. Karl Greger et les mouvemens instantanés des Nègres plongeant dans la première cataracte du Nil, de M. Robert Miraband.