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et homogène, dans sa facture, que le travail du lavis, de l’encre de Chine, de la sépia ; et, comme on ne saurait reprocher à ces œuvres-là des retouches, attendu que tout y est retouches en effet, on ne peut les reprocher, non plus, aux nouveaux essais de photographie.

Mais s’ils ressemblent tant à d’autres procédés d’art, pensera-t-on encore, à quoi bon un procédé nouveau ? Et on aurait raison de parler de la sorte si la photographie n’avait pas certaines qualités qui lui sont propres. Mais elle en a. D’abord, lorsqu’elle est dirigée par un goût prudent et une fine entente des altitudes, elle dessine admirablement. La fidélité de l’objectif, qui était un défaut avec des modèles vus de trop près, ou trop également éclairés, ou noyés dans les accessoires, devient une qualité, quand le champ de la vision est bien délimité, l’effet large, les lignes longues, souples, simples, à peine profilées sur le fond et bien suivies. Il y a une photographie de M. Puyo, représentant une Pénélope penchée sur sa tapisserie, où la courbe des cheveux, de la nuque, des épaules et de la ligne dorsale est telle qu’Ingres n’eût pu l’infléchir d’un crayon plus sobre et plus sûr. Certaines académies photographiées en plein air, sous le soleil de Sicile, à côté de restes de bas-reliefs où sont sculptés des héros et des dieux, se profilent selon un rythme si pur qu’on hésite entre le galbe du héros sculpté et celui du berger vivant venu, deux mille ans après, s’asseoir sur le sarcophage vide où l’art les réunit.

Ensuite, la photographie est capable d’un modelé infiniment nuancé, souple et caressant. L’estompe, seule, parmi les procédés de noir et de blanc, peut approximativement l’indiquer. Il ne s’agit point ici de nier la supériorité d’une nerveuse eau-forte ou d’une fine gravure ; mais n’y a-t-il pas certaines transitions insensibles de lumière à ombre, évoluant sur les plans inclinés des figures, sur des polyèdres de chair, certaines ombres dolce e sfumose, comme dirait Léonard, « exhalées sur le papier » selon le mot de Ruskin, où la photographie est sans rivale ? Pour rendre en blanc et noir ce qui, dans la nature, se rapproche des figures du Vinci, combien il est difficile à un autre procédé de rivaliser avec la photographie ! Là où le burin et le crayon procèdent par petits traits différens, et par conséquent désunis et heurtés, elle agit par teintes liées, continues, uniformes de texture, mais graduées à l’infini ; elle unit les méplats de la chair par sa facture, en