Enfin, c’est également une erreur que de croire que, devant la même réalité, les artistes dont il est question ici seront contraints par leurs machines à produire les mêmes images. L’empreinte personnelle qu’ils mettent à leurs œuvres est telle que la plupart du temps elle dispense de lire la signature ; et, après quelques visites à leurs expositions, on ne confond pas plus une photographie de M. Demachy avec une autre de M. Puyo, ou une troisième de M. Craig Annan avec une quatrième de M. Le Bègue, qu’on n’est tenté d’attribuer un paysage de M. Montenard à M. Harpignies, ou une nymphe de M. Bouguereau à Sir Edward Burne-Jones.
Cette empreinte personnelle est même le grief le plus vif des professionnels de la photographie contre les amateurs. Ce n’est point là, disent-ils avec mépris, de la photographie pure : il y a des retouches ! Mais, quand ce reproche serait mérité, il ne saurait influer sur le jugement qu’au point de vue artistique on doit porter. L’impression est-elle esthétique ? qu’importe comment elle est obtenue ? Nous aussi, nous avons horreur de la gouache en aquarelle. Mais la raison est que la gouache alourdit ce qu’elle touche, et qu’en fin de compte, elle est moins artistique que l’aquarelle « franche ». Si, par hasard, on nous montre une gouache plus légère qu’une aquarelle, nous n’hésiterons pas à l’admirer, sans reprocher à l’artiste le blanc dont il s’est servi. Pareillement, d’où vient l’horreur très justifiée de certains amateurs pour les retouches en photographie ? De cette observation très juste que les retouches alourdissent l’épreuve, empâtent les contours, tranchent violemment sur tout le reste des tons francs, et ainsi rompent l’homogénéité de la facture photographique. Mais s’il arrive que les retouches n’empâtent point, ne tranchent point, et s’harmonisent si parfaitement avec le reste qu’il soit impossible de dire où, au juste, la retouche a porté, la raison de l’horreur qu’on en avait disparaît, et la retouche est légitime.
En fait, dans les œuvres nouvelles, il n’y a pas de retouches, si l’on entend par ce mot la peinture sur le verre du cliché, ou le coup de crayon sur la gélatine ; procédés très usités par les professionnels de la photographie, et auxquels nous devons ces blancs mats et pesans, ces peaux parcheminées que la foule admire à tant de vitrines de nos boulevards. Ce qu’il y a, dans les œuvres nouvelles, c’est le travail de l’épreuve. Or ce travail ne produit aucun des heurts de la retouche ; il est aussi harmonieux