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pattes de mouches ? Eh bien, ce que le papier teinté, le fusain et l’estompe font pour simplifier le travail de l’artiste, l’objectif le fait dans une beaucoup plus large mesure. Voilà tout.

L’intervention du photographe, à la vérité, n’est point souveraine. Il ne peut qu’influer sur les lignes et les tons, non les créer. Il lui faut compter avec un agent chimique, qui joue un rôle prépondérant dans le développement du cliché et la venue de l’image. Mais l’acide n’en joue-t-il pas un très grand aussi dans la préparation d’une eau-forte ? Est-ce que, là aussi, il n’y a pas collaboration d’un agent chimique et inconscient ? Le graveur, aquafortiste ou autre, sait-il exactement l’image que donnera son œuvre, quand ce collaborateur y aura passé ? Ecoutons plutôt M. Bracquemond : « Lorsqu’un graveur creuse des tailles sur une planche métallique, avec un burin ou à l’aide d’un acide,... il ne connaîtra la profondeur et, par suite, la valeur de sa taille que par l’état que lui fournira l’impression de sa planche. » — Regardez le Portrait d’un graveur par M. Mathey, qui est au Luxembourg, considérant la large feuille humide encore. Quel regard inquiet, attentif, scrutateur, il attache à son papier courbé, tenu au bout de ses bras nus, tandis que sur un coin de la machine, gît sa cigarette oubliée, éteinte !... Il semble satisfait, mais il a eu peur ! C’est qu’il y a des hasards, des imprévus, comme il y en a, d’ailleurs, en aquarelle bien plus que les aquarellistes ne veulent le dire, et jamais cependant la collaboration de ces acides, ou cet imprévu de la tache aqueuse — si utile parfois et si savoureuse ! — n’ont empêché d’appeler ces hommes des artistes !

On dira encore : — Une œuvre d’art est un exemplaire unique de la pensée ou du sentiment d’un artiste. Du moment qu’on en peut tirer des reproductions à l’infini, comme on fait les épreuves d’un même cliché, elle perd cette qualité précieuse et devient un objet de confection. — Mais croire qu’on peut tirer un nombre indéfini d’épreuves artistiques d’un même cliché, c’est une erreur de fait. En réalité, chaque épreuve que l’artiste obtient par dépouillement sur un papier teinté à la gomme bichromatée est une épreuve unique. Il échoue plusieurs fois. quand il en a obtenu une bonne, il est rare qu’il recommence. S’il recommence, il obtient autre chose que l’exemplaire déjà produit. C’est une réplique, si l’on veut : ce n’est pas un duplicata. Bien plus qu’une gravure à l’eau-forte, une photographie de M. Demachy est un exemplaire original.