Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vert pâle, roses, où l’on hésitait à reconnaître l’attirail d’un coiffeur ou celui d’un apothicaire. Ses yeux ne pouvaient percer l’effrayant mystère où s’élaborait, sans lui, l’image naissante d’un front, d’une joue, d’une prairie, d’eaux, d’insectes, de tiges et de fleurs.

Aujourd’hui, les fenêtres sont entr’ouvertes. L’épreuve ne gît plus dans un bain d’argent ou dans un bain d’or. Elle a été posée sur une planchette, comme une aquarelle. De l’éponge pressée, coulent sur elle des larmes brillantes d’une eau naturelle : sous cette pluie intelligente et radieuse, un visage naît, grandit et s’éclaire. Voici l’épaule nue, voici le col onduleux, voici les cheveux qui se démêlent, voici la ligne du sourcil qui s’arque et le contour des joues qui s’enfle et s’insinue dans le clair-obscur. Lentement, paresseusement, comme un petit enfant qui s’éveille, l’image ouvre la bouche, puis les yeux... L’ombre se décharné et dit son mot ; elle a souri : elle va tout dire, quand l’artiste s’arrête. Il se rappelle le mot si vrai de M. Jules Breton qu’en art « il ne faut pas tout dire. » La poésie est faite d’inconnu. Et ce qui donne aux images leur charme, c’est justement qu’elles ne détruisent point par la parole, — comme hélas ! le font trop souvent les figures réelles, — l’illusion causée par leur beauté et qu’elles nous laissent croire, en demeurant à jamais silencieuses, que leur lumière intérieure vaut leur rayonnement...

L’artiste sort de son atelier ; le grand jour tombe sur l’épreuve, et aussitôt l’on aperçoit tout ce que l’homme y a mis de lui. Elle n’est pas fille du hasard et de la matière. L’esprit a fait plus que la matière, la volonté plus que le hasard. Il y a eu collaboration de l’intelligence et du cœur ; et parce qu’ainsi il a pu y avoir erreur ou folie, il peut y avoir vérité et amour. Et s’il est arrivé que cette image est belle, de quel nom l’appellerons-nous ? Dirons-nous que ce n’est pas là une œuvre d’art, parce que le vocabulaire la nomme photographie au lieu de la qualifier fusain, lithographie ou sanguine, et parce qu’au lieu de tenir entre ses doigts un petit morceau de bois carbonisé, l’artiste a en quelque sorte manié un rayon de soleil ?


III

Les images nées ainsi ont bien été faites au moyen de la photographie, mais elles n’évoquent pas plus l’idée de gélatino-bromure.