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et l’on passe ; — quand on est averti qu’elles sont du même auteur, M. J.-H. Gear, — cela étonne. Bien mieux, elles représentent le même paysage : Est-ce possible ? Bien mieux, c’est le même cliché ! Et en effet, c’est le même cliché ; mais, — agrandissement, changement de papier, mise en cadre différente, transposition de valeurs, — ce n’est pas la même épreuve. C’est le même canevas, ce n’est pas la même trame ; ce sont les mêmes paroles, mais avec un autre chant. Qu’y a-t-il donc de nouveau ? Un acide ? — Non, un sentiment. — Un corps ? — Non, une âme...

Le seul progrès matériel et technique est l’emploi du papier à dépouillement. On sait que les papiers sur lesquels s’impriment les épreuves photographiques sont de trois sortes : d’abord, les papiers blancs, comme le papier albuminé, qui noircissent spontanément sous l’action de la lumière sans qu’on puisse intervenir autrement que pour arrêter cette action, — Secondement, les papiers au bromure, qu’on commence à développer faiblement dans un bain, puis où l’on intervient pour activer l’apparition de l’image avec des pinceaux pleins du liquide révélateur. — Enfin le papier charbon-velours ou à la gomme bichromatée, qui est un papier coloré, par exemple en brun van Dyck ou en terre de Sienne brûlée, et d’où l’on enlève lentement avec l’eau et le pinceau tout ce que la lumière n’a pas fortement fixé, en laissant tout ce qu’on désire garder sur l’épreuve. L’image vient peu à peu ainsi par dépouillement. Ces derniers papiers se prêtent à un travail très lent. La venue de l’image s’y trouve subordonnée à l’intervention directe de la main de l’opérateur et est ainsi dirigée par une volonté changeante, au lieu de l’être par des lois naturelles et immuables.

On aperçoit tout de suite combien le rôle de l’homme a grandi. Quel être faible, et à quelles humiliantes fonctions était réduit le photographe autrefois ! A partir du moment où le cliché de verre était plongé dans le bain, tout échappait à ses prises. Penché sur ces cuvettes, pleines de vénéneux liquides, il attendait désarmé, impuissant, inactif, que les acides mortels eussent fait leur œuvre. C’était à la fois comique et solennel. Cela s’accomplissait dans la solitude, comme le crime, et dans l’ombre, comme la trahison. A peine la lanterne jetait-elle sur les linges épars des taches rouges qui semblaient de sang. L’homme tournait autour de ses cuvettes, de ses récipiens plats, comme on en voit dans les salles de chirurgie, et rangeait des bocaux blancs, gris, bleus,