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nombre dix fois plus considérable des pages consacrées à la disposition du sujet, et l’on verra si les critiques ont quelque bonne grâce à tenir pour peu de chose, en théorie, la seule chose, en pratique, dont ils s’occupent, quand ils ont à examiner une œuvre d’art ?

Mais le photographe intervient une seconde fois, et alors pour la facture même. C’est dans le développement du cliché. Comme il a choisi, dans la nature, l’heure et l’effet, il choisit, pour le cliché, la gamme ou le ton général dans lequel se gradueront les valeurs. Tout le monde sait ce que c’est que développer un cliché : c’est le plonger dans un liquide quii fait apparaître peu à peu l’image que contient, en puissance, la plaque sensible. Selon la composition de ce liquide, modifiée pendant l’immersion, on obtient une image plus ou moins dure, où les ombres et les lumières se différencient avec plus ou moins de contraste. Le photographe peut graduer ce contraste et ainsi modifier, dans un sens déterminé, l’effet donné par la nature. Mieux encore, il peut, — bien que ceci soit plus difficile, — rendre telle partie de l’image plus apparente que telle autre, le ciel, par exemple, plus que le terrain, et lui donner ainsi la force et la solidité nécessaires. A cela, d’ailleurs, se borne l’action de l’artiste sur le cliché. Il n’y fuit pas de « retouches ». Mais son rôle n’est pas fini, quand le cliché est développé. Ace moment, le photographe professionnel a terminé son œuvre : il s’en va se laver les mains, et des domestiques, au besoin, tireront les épreuves. L’artiste, lui, prend son cliché et le considère avec attention, mais comme une simple ébauche, que, sous sa direction, l’instrument a esquissée. A lui, maintenant, de faire, de cette étude, un tableau. Le professionnel estime que sa tâche est terminée : l’artiste, que la sienne recommence.

Car c’est dans le tirage de l’épreuve que le sentiment et l’adresse de l’homme vont surtout intervenir et que la puissance directrice prendra sa revanche sur la puissance automatique. Le cliché est dû à la machine ; mais l’épreuve, comme le style, c’est l’homme. Ce l’est à tel point que parfois on ne reconnaît pas le cliché dur et plat dans l’image frissonnante de lueurs et de modelés, que l’artiste en a tirée. Il y a deux photographies dont l’une s’appelle, Étude, l’autre Matin argenté : ce sont deux paysages de roseaux et d’eaux, et de bois et de nues. On les regarde ; on trouve la seconde incomparablement plus belle que la première