Ensuite, je fus à Little Holland House, où j’avais transporté mon appareil pour faire le portrait du grand Carlyle.
Lorsque j’avais des hommes comme cela devant mon appareil, toute mon âme essayait de faire son devoir vis-à-vis du modèle, en s’efforçant de retracer fidèlement la grandeur de l’homme intérieur aussi bien que les traits de l’homme extérieur. La photographie prise de cette manière a été presque la personnification d’une prière[1]...
On se tromperait encore, si l’on pensait que les grandes scènes de nature et d’académie, comme la Vision antique, sont interdites à la photographie. Qu’est-ce que c’est que cette voiture fermée, qui s’arrête au bord d’une grève déserte, devant un horizon nu, borné par la mer claire où s’allongent de sombres presqu’îles ? Il en descend d’étranges touristes I Des femmes en chiton et en diploïs, qu’on dirait tombées des fresques de la maison des Vettii, ou sorties des stucs des Thermes de Dioclétien, puis un homme portant une boîte à trois pieds, puis un brigadier de gendarmerie... Tout ce monde marche dans les herbes hautes et s’attarde à cueillir des fleurs. Le brigadier de gendarmerie est là pour protéger l’art des curiosités indiscrètes ou des zèles intempestifs des gardes champêtres, des gardes-côtes ou des douaniers. Mais peut-être n’est-il pas absolument esthétique. Il ne figurera pas dans le tableau. Cependant la troupe des figurans s’avance,
L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
sous les oliviers, le long des flots, parmi les plantes salifères. C’est
un singulier spectacle. Pour la première fois, depuis des temps
immémoriaux, les péplums sortent des magasins d’accessoires et
flottent à l’air libre. Les calyptres légères ne balaient plus les plan-
chers des théâtres, mais s’accrochent aux lentisques et se gonflent
sous les brises marines. Les eaux des bassins réapprennent à refléter les plis nobles des anaboles et le vent à s’insinuer dans les
tuyaux des flûtes. Mieux que les vieux miroirs de bronze verdi,
qu’on conserve sous les vitrines des musées, ces bassins diront
aux nouvelles canéphores si elles ajustent gracieusement leurs
corbeilles. Ce n’est pas anachronique. En conduisant la figure
drapée en plein air, les photographes ont retrouvé la vie antique.
Car ce paysage nous a conservé le milieu où se mouvaient les
contemporains d’Anacréon. Un piano serait étonné d’être louché
par un homme vêtu d’un himation, mais dès que cet homme va
- ↑ Annals of my glass-house.