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vus au jour d’atelier. On a des photographies de scènes historiques, de personnages fabuleux, et dans un clair-obscur saisissant ; on a des sainte Cécile, des docteurs Faust dans leurs laboratoires, des Judith entr’ouvrant le rideau d’où filtre la lumière, des Christs morts, étendus sur la pierre. Nous ne disons point que ce soient des chefs-d’œuvre de tact esthétique, mais ce ne sont point des œuvres à dédaigner. On admire beaucoup, dans le petit salon du palais Doria, à Rome, où se trouve l’Innocent X de Velasquez, deux petits tableaux de Van Honthorst, dit della Notte, qui ne dépassent nullement en audace et en vérité d’effet les photographies nocturnes de M. Puyo : Vengeance et la Lampe file[1]. Les premiers essais de compositions historiques photographiées furent tentés, si nous ne nous trompons, en Angleterre ; et il faut lire, pour se convaincre de l’enthousiasme qui les inspira, les pages où Mme Cameron les a racontés :


Je fis de ma cave à charbon mon laboratoire, et une sorte de poulailler vitré que j’avais donné à mes enfans devint mon atelier. Je mis en liberté les poules, j’espère et je crois qu’elles ne furent pas mangées, et les profits que mes fils tiraient des œufs frais furent supprimés. Mais tout le monde fut sympathique à mon nouveau travail, depuis que la société des poulets et des poules avait été remplacée par celle des poètes, des prophètes, des peintres et de charmantes jeunes filles, qui tous, chacun à leur tour, ont immortalisé l’humble petite ferme.

Un de nos amis intimes se prêta très obligeamment à mes premiers essais. Sans s’arrêter à cette crainte possible que, en posant souvent à ma fantaisie, cela pourrait le rendre ridicule, il consentit, grâce à cette grandeur d’âme qui n’appartient qu’à l’amitié désintéressée, à être tour à tour Frère Laurence avec Juliette, Prospère avec Miranda, Assuérus avec la reine Esther, à tenir un tisonnier comme sceptre et à faire complètement tout ce que je désirais.

Il n’en résulta pas seulement des œuvres pour moi, mais de Prospero et Miranda, il advint un mariage qui a, je l’espère, cimenté le bonheur et le bien-être d’un vrai roi Cophetua, qui, dans Miranda, avait vu le prix, le joyau de la couronne du monarque.

La vue de mon œuvre fut la cause déterminante de ce que la résolution fut traduite en paroles : il s’ensuivit une des plus douces idylles de la vie réelle que l’on puisse concevoir et, ce qui a beaucoup plus d’importance, il en résulta un mariage d’inclination avec des enfans dignes d’être photographiés, comme leur mère l’avait été, pour leur beauté...


Ce dernier trait est bien d’une artiste, et le suivant est digne d’une préraphaélite :

  1. Voir l’album de l’exposition d’art photographique de 1896. publié par le Photo-Club de Paris, et les Notes sur la photographie artistique, de M. Puyo, 1896.