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les mêmes qualités que les autres procédés, mais si elle en possède de quelconques, dignes de leur être comparées ; si le rôle de l’artiste y est assez important pour modifier l’aspect d’une œuvre, c’est-à-dire s’il intervient assez souvent pour qu’il y ait de sa part production et non simplement reproduction, et qu’à la beauté du site qui est à tout le monde, il ajoute celle d’une idée ou d’un sentiment qui ne sont qu’à lui.

Or, en examinant les opérations photographiques, nous trouvons qu’il y intervient, à trois momens différens, d’une façon assez décisive. D’abord, il choisit dans la nature, l’objet à représenter. Ceci a l’air très simple et ne l’est pas du tout. « Dans la nature, disait Corot, il n’y a jamais deux choses pareilles » ; et ses compagnons d’études d’après nature, Bertin et Aligny, lui faisaient un grand mérite de « savoir s’asseoir » mieux que personne. C’est donc une science que de trouver le point juste d’où l’objet doit être regardé, et non seulement le point, mais la saison, l’heure, le temps, la raison d’être du motif :


Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando ?


Car, d’une part, le plus bel objet du monde peut être un médiocre sujet de tableau, s’il n’est pas vu sous l’angle voulu, au moment esthétique, et d’autre part, combien d’admirables sujets dans les plus humbles choses qui nous entourent, si le cœur et les yeux savent les découvrir ! Un chemin courbe, une barrière droite, un toit qui fume, un tronc qui se crispe, une tige qui se penche, une flaque d’eau où le ciel renversé se reflète et tremble avec tout son empanachement de nuages... c’est assez. Tout autour de nous, la nature incessamment peint des tableaux fugitifs, mais délicieux. Il faut non les créer, — ils existent, — mais les voir. « Il est des bonheurs fortuits, dit M. Jules Breton, où la nature fait apparaître un tableau tout fait », et Frédéric Walker, l’admirable peintre de Harbour of Refuge : « La composition n’est que l’art de conserver un heureux effet aperçu par hasard. » Il ne faut pas croire suffisant ni nécessaire d’aller se mettre devant la falaise d’Étretat, ou le château de Chillon, ou la tour carrée de Saint-Honorat, aux îles de Lérins, pour faire un chef-d’œuvre. Le pays le plus « pittoresque » ne fournit aucun sujet à celui qui ne sait pas en découvrir dans les variations incessantes du pays le plus monotone. Savoir voir, c’est un grand point, peut-être le principal. Mais hélas ! combien d’amateurs peintres passent, dans le paysage, à