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entré dans une des récentes expositions du Photo-Club, à Paris, ou du Link Ring, à Londres, du Camera Club, à Vienne, ou de la Société belge de photographie, à Bruxelles, en est sorti stupéfait qu’un procédé vieux de soixante ans et qu’on pouvait croire épuisé semblât se renouveler jusqu’à une renaissance. N’y avait-il pas là un art modeste, sans tapage, sans manifeste, mais à demi créé, balbutiant les premiers mots d’une langue inconnue ? La foule, sans chercher de raisons, a tôt fait de dire son avis : devant les œuvres de MM. Robert Demachy, Constant Puyo, Maurice Bucquet, Maurice Brémard, Alfred Maskell, Frederick Hollyer, Craig Annan, Le Bègue, Bergon, Colard, Calland, Watzek, Alexandre, la foule a admiré, tout uniment. Pourtant, çà et là, apparaissaient et disparaissaient des figures inquiètes... Des artistes, peut-être, troublés comme des gens qui auraient aperçu, se profilant sur l’horizon, aux confins de leur domaine, la silhouette des fourriers d’une invasion ?... Des critiques d’art qui, toute leur vie, montrèrent, par des syllogismes fort bien ordonnés, que jamais la photographie ne pourrait donner des résultats équivalens à ceux de l’eau-forte ou du fusain et qui n’entendaient, autour d’eux, que ces mots : « On dirait une eau-forte !... On dirait un fusain ! » Des idéalistes enfin, qui se demandaient, attristés par cette intrusion nouvelle de la science, ce qu’allaient devenir parmi tout cet appareil chimique d’émulsions et de révélateurs, dans toute cette gomme bichromatée ou dans ce paramidophénol, les traditions fines et nobles du grand art, l’inspiration personnelle et innée, la part de l’âme, l’idée ?...

Avec eux et avec tous ceux qui aiment le Beau, abordons ce problème. Demandons-nous pourquoi la photographie, jadis unanimement méprisée par les artistes, se trouve aujourd’hui sur les confins mêmes de l’art. Cherchons si l’opérateur prend une part nouvelle dans le phénomène chimique et mécanique qui s’y accomplit. Examinons si cette part est suffisante pour qu’elle lui permette d’y imprimer sa personnalité. Enfin, tâchons de déterminer à quoi tend ce mouvement, et s’il marque un nouveau progrès du naturalisme sur les traditions idéalistes et classiques de l’ancienne école française ; ou bien si, au contraire, il ne serait point, par une évolution singulière et inattendue, un témoignage éclatant de leur vitalité.