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colonne torse, et le balustre ? Où sont ces boîtes de carton, en polyèdres, simulant des rochers, et la cascade peinte sur la toile de fond, toutes choses qui, dans nos vieux albums de photographie, environnent d’un travestissement uniforme et lamentable les figures disparues que nous avons aimées ?… Rien de tout cela, mais une simple chambre, orientée au hasard, parfois au midi, des tapisseries effacées, et, éparses çà et là, des choses gaies, fines, surannées, des péplums, des calyptres, des tuniques, des vertugadins, des anaboles, des collerettes pierrot, des chapeaux de nos mères-grands, des ridicules qui émerveillaient les merveilleux du Directoire, et des mouchoirs qui saluèrent la rentrée des vainqueurs d’Austerlitz… ou bien, moins encore, de simples bandes, des lés de mousseline et de gaze, de satinette et de velours de coton, des choses amorphes et changeantes, comme le cabriolet de Miss Helyett et le feutre de Tabarin, des buissons de rubans, des brassées de fleurs, dans un désordre d’archéologue ou de couturier…

L’homme qui manie ces choses est-il un photographe ? Il n’a point le ton sévère et impératif de l’ancien opérateur qui glaça, du mot de Gorgone, tant de générations d’enfans au brassard frangé ou de jeunes mariés aux mains prises dans des gants trop étroits : « Ne bougeons plus ! » Non, ceux-ci aiment tout ce qui bouge : le nuage et la feuille, et l’eau, et le regard, et le sourire… Le voile noir qui couvrait leurs épaules est tombé, et ils apparaissent à la foule, moins magiciens, mais plus hommes. Ils ne parlent plus par C12H604, mais par versets de poètes ou d’esthéticiens. Ils citent moins Herschel que Stendhal et moins Janssen que Fromentin. Ils ne fuient pas les artistes. Ils causent volontiers avec eux, et non plus en pédagogues, l’index en l’air, avec la prétention de leur enseigner les vraies attitudes de l’homme en marche ou du cheval au trot, mais au contraire en disciples, avec le désir de profiter de l’expérience des maîtres et d’écarter de la réalité tout ce qui n’est pas conforme à l’idéal… Enfin, ils travaillent au jour, une seule épreuve, un temps infini. C’est alors que l’indignation du vieux professionnel ne connaîtrait plus de bornes. Car il les verrait penchés sur une plaque semblable à celle du graveur, durant plus d’une heure pour chaque épreuve, se livrant à des besognes que ne désavouerait pas un aquarelliste… Ne serait-ce pas des retouches ? Encore une fois, que cherchent-ils ?

Ce qu’ils ont trouvé est plus surprenant encore. Quiconque est