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Cette confiance, si touchante, du malade en son médecin expose celui-ci à un autre danger. Il est attendu comme le sauveur. Tout ce qu’il conseille est un ordre, une ordonnance. On ne discute pas ses arrêts au moment présent ; on les discutera plus tard, suivant le succès ou l’insuccès.

Comment concevoir qu’un homme, qui, du matin au soir, est reçu avec des marques d’une telle condescendance, ne prenne pas de sa valeur une idée trop favorable ? Quand, vingt fois par jour, il s’entend dire : « Docteur, nous n’avons confiance qu’en vous. — Vous avez sauvé mon mari, mon fils, etc. », il finit par croire qu’il en est ainsi, et il faut faire de singuliers retours sur soi-même, sur l’incertitude de la science médicale, sur les erreurs que l’on a commises, pour retrouver dans sa conscience les sentimens d’une modestie soumise à de si flatteuses épreuves.

Celles-ci sont plus périlleuses encore, quand, plus avancé dans la carrière, signalé à la confiance de ses confrères par sa position dans la hiérarchie médicale, par des travaux scientifiques, le médecin est appelé en consultation ; quand les phrases que je rappelais tout à l’heure ne sont plus prononcées par des incompétens, mais par ses confrères, par ses juges journaliers.

Comment s’imaginer qu’un homme, que, pendant vingt ans, on invoque comme un sauveur, ne finisse pas par croire à son mérite, à sa valeur ?

Qu’il se méfie de cet écueil ; qu’il n’ait pas en lui une trop grande confiance ; qu’il pense à Montaigne, et songe parfois à ceux qui sont sous la terre et que le soleil n’éclaire plus.

Si le médecin veut bien ne plus se laisser entraîner par le plaisir de médire de ses confrères ; s’il ne dit pas d’eux ce qu’il ne voudrait pas qu’on dise de lui ; s’il est indulgent pour les erreurs qu’ils peuvent commettre, comme il voudrait qu’on le fût pour les siennes propres, l’opinion publique, un instant égarée, aura dans l’honorabilité et la valeur du corps médical, la confiance dont la très grande majorité de ses membres n’a pas cessé un seul jour d’être digne.


III

Quand ce retour de l’opinion aura eu le temps de se faire, nous serons, au point de vue de la responsabilité médicale, dans la situation où nous nous trouvions, il y a dix ans.