question de doctrine ou de pratique, nos opinions divergent. Quelques heures s’écoulent ; et c’est à peine si nous nous souvenons qu’à un moment, nos convictions scientifiques nous ont entraînés à une expression offensante ; et, si le hasard nous met en présence de notre adversaire, nous allons à lui la main ouverte. Il n’y a en cela aucune duplicité, il y a simplement un fait : entre médecins, nous ne gardons pas dans nos jugemens la mesure nécessaire.
Quand, oubliant que nous parlons devant des étrangers, nous nous exprimons de même, nous commettons une mauvaise action. Ceux-ci ne peuvent remettre les choses au point. et faire la part des exagérations. D’ailleurs, qui leur aurait appris à distinguer la vérité et l’erreur dans les paroles ainsi prononcées ? Ce n’est pas le langage des membres des autres corporations qui aurait pu faire leur éducation. Les ponts s’écroulent, les digues se rompent, les meilleures causes succombent devant les tribunaux : les ingénieurs, les magistrats, les avocats ont-ils préparé l’opinion à juger sévèrement ceux qui ont commis des fautes professionnelles ?
Cette habitude de médisance semble avoir toujours existé parmi les médecins. « Combien de fois, dit Montaigne, nous advient-il de voir des médecins imputant les uns aux autres la mort de leurs patiens ! » Mais je ne crois pas qu’elle ait jamais sévi avec l’intensité qu’elle a prise dans ces dernières années.
Je disais plus haut que la responsabilité médicale est soumise aux oscillations de l’opinion publique : quand, par la presse, par la parole, on a fait cette opinion, quand on a déversé sur les membres de la corporation le discrédit et la suspicion, on ne doit pas s’étonner que ceux qui sont chargés de la protection de la société traduisent par des actes les sentimens qu’après tout, les médecins eux-mêmes ont répandus sur leur propre compte.
La responsabilité médicale sera ce que voudra le corps médical lui-même. Il faut que celui-ci se préoccupe des conditions nouvelles dans lesquelles il se trouve placé vis-à-vis du public ; elles se sont singulièrement modifiées dans ces dernières années. Les raisons de cet antagonisme croissant entre le médecin et le public tiennent à des causes multiples, dont les unes dépendent du médecin, les autres du client ; il faut reconnaître que les transformations qui ont le plus gravement compromis la situation du corps médical ont été introduites par le client lui-même.