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Cette première impression se produit toujours… Puis, quand le coupable est connu, quand il est sous la main de la justice, quand enfin tout danger a disparu pour soi ou les siens, l’opinion se retourne immédiatement. La pitié va à l’inculpé. Il est seul, ses moyens de défense semblent insuffisans. Sa faute s’explique par la passion, à moins qu’elle ne soit le résultat d’une erreur. Qui n’a eu des passions, qui n’a commis des erreurs ? On ne songe plus que l’on aurait pu être la victime, on se demande avec anxiété si un jour on ne pourrait pas commettre l’acte reproché au coupable.

Ce sentiment de retour est plus ou moins vif, suivant les circonstances extrinsèques, qui, comme dans le premier mouvement, peuvent surexciter l’opinion publique. Mais il ne manque jamais de se produire. Il existe chez ceux qui assistent comme spectateurs au procès, chez ceux qui y sont acteurs, et même chez ceux qui l’ont provoqué. Deux fois j’en ai eu la preuve évidente. Un commerçant dépose une plainte contre un caissier infidèle ; il fait, dans le cabinet du juge d’instruction, une déposition sans merci. Le caissier attend en prison, pendant deux ou trois mois, que l’affaire soit mise au rôle des assises. Là, le plaignant plaide lui-même les circonstances atténuantes ; il rétracte dans la mesure du possible les allégations premières, et fait tous ses efforts pour rendre possible un acquittement.

Cette seconde impression, très chevaleresque, semble avoir en France une intensité plus grande qu’en d’autres pays. Elle a une conséquence regrettable. A la première heure, la société a fait appel à ceux qui détiennent une part quelconque de l’autorité chargée de la protéger. Obéissant maintenant à la seconde impression, elle entre en défiance de ceux qui ont mission de remplir la fonction qu’elle vient de leur confier. Qu’il s’agisse de l’agent inférieur, du sergent de ville ou de l’avocat général, peu importe, il est suspect ; en tout cas, il ne sera jamais populaire.

Le médecin se trouve souvent associé à ces actes, réclamés comme tutélaires par la société. Il en est ainsi du médecin expert près les tribunaux ; du médecin hygiéniste, ayant mission de protéger la santé des ouvriers travaillant dans une industrie dangereuse, ou d’indiquer à une agglomération les mesures capables de prévenir ou de faire cesser une épidémie. Son impopularité égale celle du commissaire ou de l’avocat général.

Aussi bien, il en va de même dans les actes de la vie ordinaire,