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LE DÉSASTRE.

tôt après la séance, a fait demander à Frédéric-Charles le sauf-conduit pour Boyer.

Les trois officiers, jusqu’à deux heures du matin, échangeaient leurs réflexions. Changarnier, sur l’invitation de Bazaine, avait assisté au conseil ; son expérience était précieuse, on pouvait s’abriter derrière !

— Avez-vous remarqué, dit Du Breuil, que tout ce qui pouvait frapper, abaisser le moral de l’armée, le maréchal vient de le faire ? Nos pertes depuis le début de la guerre établies avec soin ! que l’on sache bien que nous avons perdu 40 000 hommes, plus de 300 officiers et 24 officiers généraux ! Les forces ennemies dénombrées en regard de l’infériorité des nôtres ! Tous les journaux insérant par ordre la nomenclature, certainement exagérée, des travaux de siège allemands ! Et que dire des communications officielles faites aux troupes, aujourd’hui même : énumération, en dix-huit paragraphes, desdits ouvrages, avec emplacement des corps d’armée ?

— Ajoutez, fit Décherac, la corruption par les faveurs, les médailles, les croix données à profusion.

— Ah ! murmura Du Breuil avec désespoir, si le maréchal voulait encore sortir !

Décherac hocha la tête tristement :

— Il est déjà bien tard. Dans trois ou quatre jours, que sera-ce ? La dissolution commence. Des milliers d’hommes maraudent chaque nuit, au delà des avant-postes. Une sorte d’armistice règne. Le feu allemand a cessé sur certains points, on s’abouche avec l’ennemi, qui fait miroiter à nos hommes l’espoir d’une paix immédiate. Pour tout dire, le soldat est dégoûté, il n’en veut plus.

— Qu’on essaie, dit Du Breuil, on verra !

Le lendemain 19, un second conseil de guerre se réunissait ; Boyer partait aussitôt après. Séance orageuse. Une chaude intervention de Changarnier avait rallié les suffrages à la démarche de Boyer auprès de l’Impératrice. Au milieu des récriminations les plus aigres, on avait violemment accusé Coffinières de surexciter la ville ; on lui reprochait d avoir reconnu dans ses actes officiels le Gouvernement de la Défense nationale. Un chef de corps le traitait de Président de la République de Metz, et demandait sa destitution immédiate. Un autre s’écriait qu’il ne se pardonnerait jamais d’avoir contresigné sa nomination. Coffinières répondait que sa démission avait été offerte, il en renouvelait