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referait pas les harangues par lesquelles le comte Oswald Thiun a répliqué au retentissant discours du prince Frédéric Schwarzenberg à Budweis. Mais une manière de patriotisme ou de suprapatriotisme allemand, plus ou moins intempérant, plus ou moins contenu, plus ou moins débridé, plus ou moins maîtrisé, unit tous les Allemands de Bohême et d’Autriche, comme une espèce de patriotisme slave, confus encore et inconscient, unit les Tchèques de Bohême, de Moravie et de Silésie. Entre les uns et les autres, les uns qui veulent la Bohême aux Allemands, les autres qui la veulent aux Tchèques, le rôle d’arbitre n’est pas aisé ; — et le maréchal de la Diète, le prince George Lobkovicz, le sait bien.

À cette heure d’angoisse où deux races entières se défient, c’est s’exposer à de cruels remords, que de railler l’épaisseur des crânes tchèques et de vanter le poids des butons allemands. Les rues de Prague sont paisibles encore ; et si, quelque nuit, en rentrant, on les voit parcourues par des patrouilles à cheval, d’ordinaire ce déploiement de forces n’a pour cause qu’une procession de socialistes. Mais Eger n’est pas très éloigné de Prague ; et déjà, à Eger, le sang allemand et le sang tchèque ont coulé. Ce ne sont plus des syllabes inertes qui s’entre-choquent, ce sont des hommes ; ce ne sont plus chicanes de politiciens, logomachies parlementaires, ce sont batailles de nations. Il n’y va pas seulement d’une réforme du Reichsrath, d’une révision de la Constitution : il y va d’une refonte de l’Empire. Il ne suffit donc pas de savoir comment se groupent les partis dans les Parlemens, il faut apprendre quelles affinités rapprochent, et quelles inimitiés divisent les peuples de la Monarchie. En eux est la matière vivante dont sera faite l’Autriche future, — un morceau de la matière vivante dont sera faite la future Europe.


CHARLES BENOIST.