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et tant qu’on voudra ; mais il n’est pas un Hongrois, il n’est pas un parti hongrois qui, publiquement ou en secret, nourrisse un autre dessein ; et ce n’est point à Budapest, ni par la faute de la Hongrie, que, si elle doit se défaire, la Monarchie austro-hongroise se défera.


III

Mais à Prague, et sous la poussée de la Bohême, c’est possible. Répétons-le d’ailleurs : il ne s’agit pas de destruction ni de disparition, il s’agit d’une transformation, et l’Empire ne se déferait sans doute que pour se refaire. Le gouverneur qui veille à ce poste d’avant-garde, le comte Coudenhove, y est venu en pacificateur ; il y a relevé le comte François Thun, compromis par sa politique de répression. Entre les Allemands et les Tchèques, le comte Thun ne pouvait point ne pas prendre parti : c’eût été demander trop à un Allemand de Bohême. Le comte Coudenhove, qui est étranger en Bohême, y est neutre et impartial. Administrateur de carrière, il n’a pas, il est vrai, la grande situation personnelle du comte François Thun ; et si, n’étant plus Statthalter, il passait en chemin de fer près de Konopitz, l’Archi-duc-héritier ne se dérangerait peut-être pas pour aller le saluer à la gare voisine : mais, en revanche, il n’a pas d’intérêt personnel, ni de système qu’il veuille faire prévaloir sur les instructions de son ministre. A une prudence, à un tact supérieurs il allie un sang-froid qui est presque du flegme : il ne bouscule, ni n’embrouille, ni ne précipite rien. C’est beaucoup ; ce n’est pas assez pour endormir les passions nationales surexcitées jusqu’à la haine et la guerre ; mais qu’est-ce donc qui les endormirait ?

Qui pourrait aujourd’hui recoller les deux moitiés de la Bohême ? Car les finesses, les subtilités s’effacent dans le classement des opinions, et cette politique, si compliquée, si enchevêtrée, où l’on se perdait, s’est simplifiée au point qu’il ne saurait y en avoir de plus simple. d’une part les Tchèques, d’autre part les Allemands. Il n’y a plus de Vieux Tchèques, plus de Jeunes Tchèques, plus de Tchèques radicaux, plus de Tchèques cléricaux, plus de féodaux tchèques : ou s’il y en a encore, c’est comme s’il n’y en avait plus. Il n’y a plus d’aristocratie tchèque, plus de bourgeoisie tchèque, plus de peuple ou de prolétariat tchèque : toute la Bohême est debout, en un seul bloc.