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pris pour de la force et de la vie ce qui n’était plus que de la gloire et de l’histoire, et de prétendre traiter avec François-Joseph d’égal à égal, de souverain à souverain, d’autres, plus intransigeans, l’accusent d’incliner devant la dynastie des Habsbourg la dynastie des Kossuth : les patriotes farouches gémissent de le voir porter des costumes de coupe anglaise et, dans l’amertume de leur cœur, pleurent sur l’enfant prodigue, qui s’est « européanisé. »

Le parti du peuple combat sous la bannière des comtes Ferdinand Zichy et Nicolas-Maurice Esterházy. Et, tout « parti du peuple » qu’il s’intitule, c’est, remarque-t-on dans le camp opposé, un parti de grands seigneurs et de grands propriétaires, féodal, réactionnaire, clérical, ultramontain ; ce qui ne veut peut-être dire, en réalité, que catholique. Il s’est constitué après le vote des lois sur le mariage civil, et son ambition, que le succès, jusqu’ici, n’a qu’à demi justifiée, serait d’être dans le Parlement hongrois l’équivalent du Centre dans le Reichstag allemand. Mais ses deux capitaines, le comte Zichy et le comte Esterházy, — celui- ci plus actif, plus combatif, plus positif, celui-là plus mystique, plus théoricien et en quelque sorte plus théologien, — n’ont pu se faire élire à la Chambre : ils se comptent, eux et leurs disciples, au premier rang des victimes du baron Bánffy, n’ayant qu’une vingtaine de sièges, au lieu d’une soixantaine qu’ils auraient dû avoir : c’est donc de la Table des magnats qu’ils donnent leurs instructions, et dans la Chambre même, ils sont suppléés par un prêtre, l’abbé Molnar.

Le comte Albert Apponyi est le porte-paroles du parti national, qui ne saurait avoir à son service ni une plus brillante intelligence, ni une plus magnifique éloquence. Vingt fois il a failli remporter de haute lutte la victoire ; il partait ardent et fougueux, ses phrases couraient pressées comme des escadrons qui chargent ; il abordait de front les obstacles et les franchissait ; c’en était fait : rien ne l’arrêtait plus. Et tout à coup il s’arrêtait, au pied de la dernière haie, au bord du dernier fossé. Ceux qui, haletans de crainte ou d’espérance, l’avaient suivi, gardaient la sensation d’une très belle chose inachevée ; mais d’une chose si belle, que, plus tard, lorsqu’ils rangeait, pour charger à nouveau, les escadrons sonores des mots, involontairement, même en s’en défendant, ils étaient repris à le suivre encore, Le parti national ne va pas tout à fait jusqu’à l’union exclusivement personnelle ; il ne demande pas une armée purement hongroise, mais seulement