de ne pas quitter mon poste ; comment ferais-je pour m’en aller ? Quand l’opposition en aura assez, elle désarmera. » Mélancoliquement, pourtant, il effeuillait le calendrier : non point par lassitude, mais par regret de ses vacances perdues. Au demeurant, les difficultés politiques, dans le Parlement ou au dehors, le laissaient impassible. La grève des ouvriers ruraux, qui un moment eût pu compromettre la moisson dans l’Alföld, ce grenier de la Hongrie, ne l’avait pas ému plus que de raison, bien qu’il ne la crût pas exempte de toute pensée de socialisme agraire. Il avait fait dresser une liste en partie double, ici des bras demandés et là des bras offerts ; amené de loin des travailleurs sur les points où l’on en manquait, et pourvu au reste avec des soldats. Sous aucun de ses travestissemens, le spectre rouge ne l’épouvantait. Quand il recevait une de ces lettres que de vrais ou de faux anarchistes adressent volontiers à tous les gouvernemens et qui ne parlent que de mort, il était disposé à y soupçonner une part d’escroquerie ou de mystification. Et, si on lui rappelait que, tout de même, une bombe avait fait explosion, devant sa porte, au pied du monument de Heindsieck, il fallait entendre de quel ton il répondait, en haussant les épaules : « Ce sont les petits inconvéniens du métier ! » Mais il ne négligeait pas, pour cela, de rechercher les auteurs, terribles ou non, toujours suspects, de ces plaisanteries stupides ou criminelles ; lorsqu’il en tenait un : « Il sera puni, disait-il, comme de juste. » Et là-dessus on pouvait s’en remettre à lui.
A un autre point de vue, il ne ferait pas bon apporter au baron Bánffy des revendications nationales fondées sur un droit historique. Il demanderait alors : Qu’est-ce qu’un droit historique qui n’est pas un droit vivant ? C’est-à dire : qu’est-ce qu’un droit qui n’est pas la force ? Le prince de Bismarck a fait école, et peut-être a-t-il en Europe plus d’un élève : il n’en a pas de meilleur que le baron Bánffy. — Moins défiant que M. Wekerlé, plus résolu que le comte Jules Szápary, M. de Bánffy est soutenu par un parti, nombreux, uni, et qui compte en ses rangs des hommes comme M. Koloman de Széll, le docteur Falk, l’économiste Louis Láng, comme le publiciste Auguste Pulszky. En lui et sur lui la Hongrie se repose, entre hier et demain, entre le vieux Koloman et le jeune Etienne Tisza.
M. Tisza appuie le Cabinet. On le voit passer encore dans les couloirs du Parlement, long, sec, et si maigre qu’il semble décharné,