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c’est pour avoir à maintes reprises prouvé d’une main un peu lourde l’originalité de son « libéralisme », laquelle n’éclate jamais mieux qu’en période électorale, quand des villages entiers vont voter entre les gendarmes ; quand, devant les électeurs, soupçonnés d’être hostiles, les bacs sur les rivières disparaissent, et les routes d’eau ou de terre sont coupées. Car le suffrage, pense, comme tant d’autres, le baron Bánffy, est faillible et a besoin d’être corrigé.

Avoir, des galeries de la Chambre, ce grand et gros homme, le chef couvert d’une calotte de soie, on serait tenté de lui trouver, — malgré la farouche moustache qui s’aplatit en deux touffes sur les joues comme des favoris arrêtés tout court, belliqueux attribut des compagnons chevauchans d’Attila ou d’Arpád, — on ne sait quoi de détendu, de rond, de placide et de paternel. Mais, assis à deux pas de lui, et dès qu’il parle, on s’aperçoit que l’œil jaunâtre, qui jette une petite lueur fauve, est vif, brillant, perçant et regarde bien droit, du regard d’un homme de sens, de volonté, et de franchise, à l’occasion, brutale : avec la calotte noire, posée sur le bord de la table, s’en sont allées toute la bonhomie, toute la bureaucratie et toute la paternité. Il reste le solide, carré et un peu rude descendant de ces rudes barons Bánffy, dont l’un, au temps de la domination ottomane, eut la tête tranchée par ordre d’un Teleki.

Transylvanien, c’est en Transylvanie qu’il a fait ses débuts, en qualité de comte suprême, et ses détracteurs mêmes consentent à avouer qu’il connaît comme pas un les affaires de ce pays. Ils vont plus loin et ne nient pas que dans la suite, ou président de la Chambre, ou président du Conseil des ministres, il ait sur une scène plus en vue montré de plus hauts talens : après le reproche de ne point épargner l’ennemi dans le combat, on ne lui en entend guère adresser que deux autres : par les professeurs, celui de n’être point un savant, et par la jeune noblesse celui d’avoir trop peu de souci des élégances. Et il se peut vraiment qu’il ne sache pas tout ce qu’on peut savoir, mais il sait tout ce qu’on peut vouloir ; il le veut ; et cela vaut peut-être mieux pour un homme d’État.

Au plus fort de la crise, lorsqu’on ne prévoyait pas la fin de l’obstruction dans laquelle il était menacé d’être enveloppé et renversé, il disait tranquillement : « J’ai à la Chambre une majorité incontestable (280 voix environ sur 413) ; Sa Majesté m’ordonne