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qu’au moment de renouveler le Compromis austro-hongrois, tous ces Polonais, ministres en Autriche, s’étaient « vendus à la Hongrie » pour une somme qu’on indiquait ; pas cher : trois ou quatre millions, les trente deniers de Judas ! Le comte Badeni se préoccupait moins de répondre à ces sottises que de poursuivre et de fixer sa majorité introuvable. Chargé d’une mission de paix, le baron Chlumecky, ancien président de la Chambre des députés, maintenant membre de la Chambre des seigneurs et président du Conseil d’administration de la Compagnie des Chemins de fer du Sud de l’Autriche, la conciliation et la combinaison faites homme, allait et venait de Vienne à Prague et à Brünn. Il se multipliait, prêtait de bon cœur tout son entregent, ne descendait d’un train que pour remonter dans un autre, ne lâchait un Allemand que pour entreprendre un Tchèque ; toujours dispos, alerte, complaisant, empressé, de mine engageante sous ses cheveux gris, et sa barbe en broussaille, et ses lunettes d’or. Mais il constatait seulement qu’en une année il avait perdu, sans autre motif que la question des nationalités, tout son crédit en Moravie ; que le mouvement n’avait, comme on eût aimé à le croire, rien d’artificiel ni de superficiel ; qu’il n’était pas dans la presse, mais dans le peuple ; et qu’enfin on ne ramènerait pas les Allemands sans s’aliéner les Tchèques, parce que les Allemands mettaient pour condition à leur retour que les ordonnances du 8 avril seraient rapportées, et les Tchèques pour condition à leur fidélité qu’elles seraient maintenues.

Et partout, et chez tous, montait du cœur aux lèvres un grand dégoût du parlementarisme, avec le suffrage universel à la base. Au mois d’octobre, à la rentrée de la Chambre, la bacchanale recommencerait : le mal ne venait pas des lacunes du règlement ; et par suite le comte Badeni ne le pourrait guérir en cherchant dans le règlement intérieur des parlemens étrangers, — et notamment dans le règlement de la Chambre française, — des sévérités, et des rigueurs même, jusque-là inconnues eu Autriche. Le projet de réforme dont il avait, assurait-on, confié l’étude à son collègue et compatriote, le docteur Rittner, une lumière du droit constitutionnel, demeurerait, lui aussi, inefficace, si l’on ne se décidait à prendre le parti audacieux de trancher dans le vif. Pour la première fois qu’il était appliqué, en Autriche, — et encore partiellement, à l’élection de 72 députés, pas plus, sur 425, — le suffrage universel avait fait son œuvre d’abaissement : et la Chambre nouvelle était