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allemande ou prussienne qui est derrière, et à laquelle ils s’adossent comme à une forteresse de refuge. Mais, en vérité, les droits des Allemands de Bohême sont-ils lésés, à leur donner un sujet de se jeter, avec des provocations et des défis, sous les murs de cette forteresse ?

Ce n’est pas notre faute, disait le comte Badeni, s’il y a en Autriche une question des nationalités. L’Autriche, ce n’est pas nous qui l’avons faite ; et peut-être, faite autrement, serait-elle plus aisée à gouverner ; mais il nous faut la prendre comme elle est. Ah ! Napoléon III nous a mis dans un bel embarras, avec sa politique des nationalités ! Il ne l’a pas inventée, non ! mais, en lançant le mot, il a singulièrement aggravé la chose. Entre les nationalités de l’Autriche, nous avons à présent à trouver l’équilibre, et, ce qui est loin d’être commode, à satisfaire les unes, sans fâcher les autres, quand leurs prétentions et leurs vœux sont opposés les uns aux autres. Les droits des Allemands sont très respectables ; mais, à cause d’eux, nous ne pouvons pourtant pas interdire aux Tchèques de revendiquer les leurs. Voyez les Polonais : depuis trente ans, on leur a fait des concessions : leur langue a été admise à l’égalité de traitement : en sont-ils moins attachés à la Monarchie ? Où l’empereur, plus qu’en Pologne, est-il servi avec un dévouement enthousiaste ? Et pourquoi la Bohème, — je crois que le premier ministre dit : le royaume de Bohême, et aussi bien, c’est le titre officiel ; — pourquoi la Bohême donnerait-elle des inquiétudes ? Nous ne lui accordons pas, par nos ordonnances, la moitié de ce qui a été accordé à la Galicie. »

Mais ce que l’on accorde n’est pas tout : tout dépend et de celui qui accorde, et de ceux à qui l’on accorde, et du moment où l’on accorde, et de la forme dans laquelle on l’accorde. Venant de ce Polonais, un Slave, et allant à des Tchèques, des Slaves, les concessions faites à la Bohème parurent aux Allemands d’Autriche une trahison et comme le commencement de la fin. Vainement on leur représentait qu’elles n’atteignaient pas à la moitié de ce qu’avait obtenu la Galicie ; ils répondaient que la Galicie n’est pas la Bohème, et qu’entre les Allemands de Bohème et les Ruthènes de Galicie, il n’y a nulle comparaison possible.

Au Reichsrath impérial, la lutte s’engagea sans trêve ni merci, M. George Schœnerer et les deux plus fougueux de ses quatre amis marchant en tête des groupes allemands et poussant des cris de sauvages, frappant sur le couvercle de leurs pupitres,