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où furent signées les ordonnances sur les langues en Bohême, que date pour l’Autriche l’irréparable.

En les dictant, ces ordonnances, le premier ministre de l’empereur François-Joseph ne pensait certainement pas qu’elles feraient tant de bruit et provoqueraient tant de scandale : il ne lui semblait pas commettre un acte révolutionnaire. Il les savait d’accord avec le principe, posé par la Constitution, de l’égalité des langues et des nationalités dans l’Empire : conformes, quant à leurs dispositions essentielles, à une ordonnance rendue sous le ministère Taaffe, en 1886, par le ministre tchèque Prazák, et qui prescrivait, également, aux employés des services publics en Bohême de répondre dans celle des deux langues, allemande ou tchèque, où la demande serait présentée. Trois mois après, alors que tout était en pleine confusion, que des propositions de mise en accusation avaient été déposées contre lui, qu’il avait été réduit à proroger un Parlement où l’on ne recourait plus, pour tout argument, qu’à l’outrage, le comte Badeni ne pouvait encore concevoir pourquoi, à travers toute l’Autriche allemande et jusque par delà les montagnes de Bohême, s’était élevée et soufflait cette tempête.

Que les Allemands fussent hors d’eux-mêmes, il le voyait trop bien ! S’ils eussent consenti à entendre raison, il leur eût concédé peut-être que l’article exigeant des candidats aux fonctions publiques en Bohême la connaissance des deux langues allemande et tchèque changeait dans une certaine mesure l’égalité proclamée légalement en infériorité réelle pour les Allemands. La plupart des Tchèques, en effet, savaient ou apprendraient l’allemand, tandis que très peu d’Allemands savaient ou apprendraient le tchèque. Pas un instant non plus il n’avait oublié la très grande place qu’occupe l’Allemagne dans l’histoire, la politique et la civilisation de l’Europe, par la force de ses armes, l’éclat de sa culture, le développement récent de son industrie et de son commerce. Et il savait aussi, en corrélation avec cette très grande place, la très haute idée qu’ont de tout ce qui est allemand tous ceux qui se sentent ou se croient de sang allemand ; une fierté, une susceptibilité, une sorte d’orgueil germanique qui leur fait voir dans la moindre atteinte une offense, dans un rappel à la condition commune une insulte à l’humanité dont ils sont les exemplaires supérieurs. Pas un instant il n’avait méconnu la nécessité de ménager, en la personne des Allemands d’Autriche, l’Allemagne