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ment, avec sa figure ingrate, l’agent d’affaires d’une négociation louche.

Reviendrait-il seulement ? Qu’était devenu Bourbaki, dupe d’une mission secrète ? Bourbaki dont le départ, l’absence inexplicables avaient affolé Metz à ce point qu’une députation récente s’assurait que le général n’était pas enfermé à l’École d’application sur l’ordre de Bazaine…

La pluie tombait, tombait sans relâche ; Du Breuil la contemplait l’âme navrée. Elle allait contribuer, autant que la famine, à notre perte. Elle amollissait le cœur, éteignait le feu de la révolte. Des révolutions, l’histoire en témoigne, ont été novées par un orage. Que dire de ces flots, dont le ruissellement, nuit et jour, balayait toute action énergique ? Du Breuil pensa : La conjuration est dans l’eau. Pour courir les camps, pour recruter des adhérens, il ne faut pas que la boue colle aux semelles, que le vent et la pluie vous aveuglent.

Vraiment, le maréchal, dans sa maison chaude, pouvait jouer à l’aise au billard, tandis que les meneurs de la grande réunion, les Rossel, les Boyenval, d’Avol, Carrouge, Charlys, s’évertuaient, trempés, crottés, exténués de rage et de fatigue ! Cette première démarche, où l’on avait bien spécifié que toutes les formes de la discipline seraient respectées, cette visite en corps de quelques généraux à Bazaine n’avait abouti à rien. En vain Boisjol, éloquent dans sa rudesse, avait dit quelques mots étranglés par l’émotion ; en vain Chenot avait insinué, avec bonhomie, les avantages d’une sortie ; Bazaine, surpris du blâme implicite de cette démonstration, avait dissimulé, pris son air de rondeur : « Il était décidé à ne pas capituler, il leur en donnait l’assurance formelle. Le général Boyer allait arrêter à Versailles une convention militaire, qui permettrait à l’armée de quitter honorablement la place. Dans quarante-huit heures, on saurait s’il avait réussi. S’il échouait, le maréchal pensait comme eux qu’il fallait sortir à tout prix. » Et prenant la carte, il improvisait un plan de marche : sur les deux rives de la Moselle, cette fois dans la direction du sud. Il ajournait des mesures immédiates, en se déclarant prêt ; ajoutait que sa situation à l’armée était peu agréable, et que si un autre, quel qu’il fût, voulait s’en charger, il la lui abandonnerait volontiers.

— Oui, comptez là-dessus ! avait grommelé Carrouge.

Décherac, reprenant son service au quartier général. — on lui fit fête, — racontait les troubles : Coffinières avait signifié