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non pas les plus distingués. C’est l’appel à l’émotion, par les moyens les moins délicats. Le livre commencé en « idéologie » s’achève en roman-feuilleton. Tout cet étalage de considérations et toute cette dépense d’aphorismes aboutit à un fait divers. Voilà bien des embarras pour nous conter l’affaire Lebiez !

Toutefois ce décousu n’est pas le défaut principal du roman ; M. Barrès pourrait nous répondre qu’elle aussi, la réalité est décousue, que le mélange de l’observation et de la fantaisie a son charme, qu’il a compté sur ces effets de contraste pour réveiller l’attention, et qu’enfin cela contribue à donner à son œuvre la marque de la vie. La vie ! Voilà justement ce qui manque à ce livre ; telle en est la lacune essentielle. Nous sommes bien loin de contester à un romancier le droit d’avoir des idées. Qu’il en ait au contraire, qu’il en ait d’originales et de fortes ! Seulement ces idées doivent, non pas être traitées pour elles-mêmes de façon abstraite et ex professo, mais être en quelque manière ultérieures à l’œuvre. Elles doivent passer dans la substance du récit, dans l’âme des personnages. Élémens intellectuels et élémens romanesques doivent se fondre dans une indissoluble unité. M. Barrès met d’un côté un chapitre de spéculation abstraite, d’autre côté l’exemple qui doit venir à l’appui de sa démonstration. Il disserte, explique, définit, argumente, tout à fait à la manière du professeur en chaire. « En conséquence, dira-t-il, ce qui fait question, c’est la substance française. Qu’entendons-nous par là ? En principe, la personnalité doit être considérée comme un pur accident. Le véritable fond du Français est une nature commune, un produit social et historique, possédé en participation par chacun de nous... » Cela est rude. C’est le ton de l’école. Pour notre part, on devine bien qu’il ne nous choque pas ; mais il faut que chaque chose soit à sa place. Didactique et méthodique, M. Barrès numérote ses argumens. Il expose que les forces vivantes de notre pays sont : 1° les bureaux ; 2° la religion ; 3° les ateliers agricoles, industriels ou commerciaux ; 4° d’innombrables associations de toute espèce. Sommes-nous à l’École des sciences politiques ? Beaucoup détecteurs sont mal préparés à entendre ce langage technique. M. Barrès ne leur ménage pas les formules empruntées parfois à la sociologie et d’autres fois à la pathologie. Puis il fait avancer les sept Lorrains.

Les sept Lorrains sont François Sturel, Suret-Lefort, Rœmerspacher, Renaudin, Gallant de Saint-Phlin, Racadot, et Mouchefrin. Si vous me dites que ces noms risquent de s’embrouiller dans votre souvenir, c’est qu’en effet, après avoir lu l’histoire de ceux qu’ils désignent,