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hymne à Napoléon, la description de l’enterrement de Victor Hugo. M, Barrès ne prend pas la peine d’amener ces différens épisodes ; mais surtout on ne voit ni comment ils se rattachent à l’ensemble, ni comment ils s’arrangent entre eux. M. Barrès admire l’œuvre de Taine, il respecte et il aime la figure si noble et si douce de ce grand travailleur. On ne saurait trop le louer d’en avoir si bien parlé, et avec une si sincère émotion. Mais on se souvient de l’étude de Taine sur Napoléon. Comment se fait-il que, tout plein encore de l’esprit de l’historien philosophe, M. Barrès ait pu, dans le chapitre voisin, exalter Napoléon, professeur d’énergie ? Car il ne se borne pas à indiquer l’influence que le prestige de la légende napoléonienne a pu exercer sur de jeunes imaginations. Il parle en son nom ; il hausse le ton ; il s’élève au lyrisme. — D’un bout à l’autre de son livre, M. Barrès insiste sur la nécessité de maintenir les caractères provinciaux et locaux. Comment se fait-il que, dans le même livre, il donne une importance si considérable au spectacle des funérailles de Victor Hugo, dont la beauté vient justement, d’après lui, de ce qu’elles ont fait communier tous les Français dans une même pensée, en leur proposant un même idéal de gloire ? — Il semble bien que, se conformant à l’esthétique réaliste, M. Barrès ait voulu nous présenter une équipe quelconque de sept jeunes gens pris dans la moyenne, et les soumettre aux influences auxquelles ont pu être soumis vers le même temps, tous les jeunes Français. Nous les voyons, en effet, façonnés successivement par la discipline du lycée, par le Quartier Latin, par la pension bourgeoise, par la fréquentation des filles ; on ne nous épargne ni les détails médiocres, ni les détails répugnans. Mais quelle est notre stupeur, de voir tout à coup ces sept conjurés se prêter serment auprès du tombeau de Napoléon ! Nous sommes à cent lieues de la vie réelle. Avec le récit des aventures extraordinaires d’Astiné Aravian, l’Arménienne aux turquoises précieuses, nous sommes transportés dans le romanesque le plus échevelé. Auprès de cette « étrangère », celle de Dumas fils était une bourgeoise. Cela nous met en garde contre la qualité de l’observation telle que la pratique M. Barrès. Nous nous souvenons malgré nous qu’il s’était fait d’abord une réputation d’humoriste à la fantaisie compliquée. Mais voici que Racadol, Mouchefrin et la Léontine, qui déjà n’avaient dans le roman que trop de place, apparaissent au premier plan. La mystérieuse soirée de Billancourt, la séance chez le juge d’instruction, la scène de nuit chez Mouchefrin, sont autant de chapitres d’une littérature spéciale, qui est la littérature de cour d’assises, très goûtée d’une certaine catégorie de lecteurs, mais