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LE DÉSASTRE.

fût fait sauter sur une poudrière, plutôt que de se rendre !

D’heure en heure, la situation empirait. Le maréchal avait, dans un communiqué, démenti la prétendue grande victoire. La veille, toute distribution aux chevaux avait cessé ; dans deux jours, le pain manquerait. Frédéric-Charles avait d’abord refusé de laisser partir Boyer, puis, sur avis favorable de Versailles, consenti. Son parlementaire venait d’arriver : Boyer était autorisé à se rendre auprès du Roi, un train express l’attendrait à Ars, l’aide de camp du Prince l’accompagnerait.

Le général était parti vers midi.

— Belle occasion, dit Francastel, de montrer aux Prussiens ses étoiles neuves !

— Peuh ! des étoiles filantes ! fit méchamment Floppe.

Cependant le Conseil, convoqué par le maréchal, à la suite du refus primitif de Frédéric-Charles, tenait séance. Devant cette solution favorable qui répondait au vœu de presque tous les membres, le conseil n’avait eu qu’à s’occuper des dernières manifestations de la ville. Frossard et Lebœuf demandaient avec violence que l’aigle fût rétablie sur la hampe du drapeau de l’hôtel de ville. On attachait, répondait Coffinières, trop d’importance à cet événement. Il lui fallait un ordre écrit. Mais Bazaine gardait le silence. Coffinières réclamait alors à nouveau qu’on séparât le sort de la ville et celui de l’armée ; le 20 octobre, il ne pourrait plus rien céder des ressources de sa place.

— Hé ! hé ! votre patron s’agite, disait Floppe au capitaine Chagres. Encore un que Bazaine a joliment roulé ! Vous y voyez clair maintenant, hein ? vous faites la grosse voix, vous voulez sauver Metz ! Trop tard ! mon gros ; si nous y passons, vous y passerez aussi !

Chagres haussa les épaules, c’était un homme très brave, mais que la discussion ennuyait. Il avait, l’autre jour, fait descendre à un braillard l’escalier de son bureau, d’un coup de pied dans le derrière.

Dans la soirée, bien des pensées suivaient Boyer. Réussirait-il dans cette étrange mission, à laquelle les plus sages ne songeaient qu’avec malaise ? Il allait, disait-on, proposer au roi de Prusse les clauses suivantes : « La ville laissée à elle-même pour se défendre ; évacuation des blessés ; départ de l’armée avec armes et bagages pour le sud de la France ou l’Algérie, sous la condition d’y rester jusqu’à la fin de la guerre. » Mais pourquoi le vain-