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REVUE LITTÉRAIRE

LES « DÉRACINÉS » DE M. MAURICE BARRÉS[1]

Le nouveau livre de M. Barrès a d’abord un mérite qu’il faut s’empresser de reconnaître : c’est qu’il ne ressemble pas aux précédens. Non certes que ceux-ci fussent dénués d’agrément. Une hardiesse provocante, l’outrance dans le paradoxe, l’affectation de légèreté, la recherche de l’esprit, la préciosité du style, leur donnaient au contraire un genre de séduction très particulier. Seulement le genre est épuisé ; l’auteur en a tiré tous les effets qu’il pouvait ; il les a répétés jusqu’à satiété ; il n’y avait plus moyen d’y revenir et il fallait de toute nécessité trouver autre chose, M. Barrès est trop intelligent pour ne pas l’avoir compris. Il a senti le besoin de se renouveler. Il s’est rendu compte qu’il était arrivé à ce tournant où un écrivain, favorisé par le succès, se doit à lui-même de justifier sa réputation. C’est pourquoi il s’est astreint pendant plusieurs années à ne rien publier ; il a réfléchi ; il a travaillé ; il nous rendent aujourd’hui transformé sur plus d’un point. Il a renoncé à cette ironie qui paraissait à quelques-uns si savoureuse ; mais l’ironie fatigue à la longue : elle semble un moyen de se dérober, un artifice pour éviter de livrer sa pensée. Il s’est dépouillé de tout ce qui) lui donnait un air trop dégagé, alerte et léger. Maintenant il ne v4endrait plus à l’esprit de personne de douter qu’il ne soit tout à fait sérieux. De même il répudie avec une courageuse décision des idées qui pendant un temps ont pu l’amuser, mais dont, à l’épreuve, il a reconnu le danger. Célébrant

  1. 1 vol. de la Bibliothèque Charpentier, chez Fasquelle.