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nions politiques, des soldats ne doivent pas avoir une autre idée que de quitter Metz et de se soustraire par tous les moyens à la capitulation honteuse qui se prépare ?

Avec son bon sens têtu, c’est à ce point qu’il ramenait la discussion, toujours prête à s’écarter au gré des récriminations stériles. Carrouge, très animé, écoutait, sans les entendre, les plaintes d’un vieux bourgeois de Metz, M. Krudger, dont le fils était un des membres les plus actifs du conseil municipal :

— Comparez, disait-il avec exaspération, ces deux feuilles de l’Indépendant de la Moselle d’aujourd’hui. Voici les épreuves, sabrées par la censure, et voici le numéro du journal, mutilé, avec des vides ! Pis encore ! Un article du colonel Humbert, secrétaire de la bibliothèque de l’École d’application, démontrait que la situation n’est pas désespérée, que la France s’arme. On vient de l’anéantir sur épreuves. Et voilà ce que vous ne soupçonneriez jamais : le colonel Humbert n’a pris la plume qu’après la visite d’un officier d’état-major, venu de la part de Bazaine, demander l’ouvrage de Thiers où il est question des capitulations de Baylen, de Gênes et de Dantzig !

Il y avait là une douzaine d’officiers, quelques-uns appuyés sur des béquilles, d’autres le bras en écharpe, pâles encore de leur séjour à l’ambulance. Tous se regardèrent avec dégoût. D’Avol ricana en se tournant vers Du Breuil.

— Jolie commission ! Tu connais peut-être l’envoyé ? un de tes camarades ?

Plus sèchement qu’il n’aurait voulu, Du Breuil répondit :

— J’ignore… EN tout cas, il n’est pas responsable, il obéit.

— Oui, oui, l’obéissance passive, connu ! Elle mène loin !… Mais moi, je le déclare, quand le joug est honteux, on le brise ! Reconnais-tu qu’à l’heure qu’il est, une sortie avec ou sans espoir, seule, peut sauver l’honneur du drapeau ? Oui ou non ?

Du Breuil fronça le sourcil. Il pressentait le choc. Son cœur aimant en soutirait, autant que son amour-propre froissé à vif. Pourquoi d’Avol était-il à ce point entier, fougueux ?

— Je le reconnais, concéda-t-il enfin.

— Alors tu approuves la démarche que certains généraux vont faire auprès de Bazaine ?

— J’approuve tout ce que la discipline tolère, rien au delà.

— Donc, fit d’Avol, tu nous blâmes, si Bazaine se refuse à sortir, de lui substituer un chef meilleur ? Tu nous blâmerais de pré-