Il désigna des fourgons d’artillerie que conduisaient des chevaux et des cavaliers allemands.
— Les reconnaissez-vous ? dit-il. Ce sont nos fourgons, à nous. On va les écouler vers Thionville. Notre artillerie, comprenez-vous cela ! servant à bombarder une ville française !… Ah ! Bazaine ! Bazaine !…
Une femme, drapée d’un cachemire, le serre-tête noir des juives collé au front, les croisa. Elle tenait à la main deux enfans presque albinos. Du Breuil reconnut la famille de Gugl ; des juifs allemands les accompagnaient. Ils parlaient haut, d’un air arrogant, en toisant les officiers. Mme Gugl jeta à Du Breuil un regard de haine sournoise.
— Cette racaille pullule, dit le vieil officier. Hier, des fourgons ennemis sont entrés en ville, apportant quantité de pain, de vin, de viande, d’œufs, de beurre, de lait. Croyez-vous que ces youtres voulaient tout acheter pour revendre à gros bénéfice ! L’ennemi a repoussé leurs offres sordides, et les denrées, cotées, bon marché, ont été réparties entre les habitans.
— Ah ! reprit-il, les Prussiens s’y entendent pour l’organisation ! Poste, police, voirie, ils ont saisi tous les services. Partout, leurs employés fonctionnent. Metz a pour gouverneur le général Von Kummer. Avez-vous vu sa proclamation ? Il ne badine pas, cet homme ! À l’hôtel de la division, un officier allemand, parlant français, distribue les feuilles de route… Et leurs espions, fit-il en regardant en face un individu qui les écoutait, il y en a partout, partout ! Pauvre Strasbourg, pauvre Metz ! ils ne les rendront jamais !
Un officier prussien, dont sa béquille gênait le passage, se dérangea avec un salut poli.
— Ils sont courtois, avec cela !… Encore leurs musiques ! Ils traversent Metz en tous sens, ils prennent les routes de Paris, d’Orléans, d’Amiens. Ils n’attendaient que notre capitulation, pour aller tomber sur nos pauvres camarades. Ah ! Bazaine ! Bazaine !…
Une quinte de toux l’interrompit, le sang le prenait a la gorge. Il rentra dans la maison.
— Pierre !
— Maxime !
Une valise à ses pieds, le vicomte Judin, qui passait en voiture, fit arrêter, et joyeusement lui dit :