page du registre, se rendre, par son obéissance, complice d’une sorte de crime de faux. C’était cela qui l’avait achevé. Puis les paroles de Changarnier, répétées par Charlysl… « Périsse l’armée plutôt que de se sauver par l’indiscipline ! » Elles avaient poussé dans le gouffre son âme hésitante. Elles avaient prononcé le verdict, inscrit en lui-même l’arrêt fatal.
Alors Du Breuil s’acquitta des soins pieux. Ses mains tremblaient. Aidé de Frisch, il fit la dernière toilette, vêtit Restaud de son grand uniforme. Il lui prit une médaille qu’il portait sur la poitrine, lui coupa une mèche de cheveux. Puis il baisa le front blême et sortit pour régler les détails funèbres. Trouverait-il seulement un prêtre qui voulût prier pour le suicidé ? Déclarations, formalités, à cette heure où le vainqueur posait déjà partout sa main lourde. Du Breuil fut navré de sentir combien peu comptait cette mort perdue. Tant d’autres préoccupations dominaient, le parquement par troupeaux des innombrables prisonniers affamés, l’envahissement et le ravitaillement de Metz, le fourmillement des visages étrangers, le bourdonnement des voix étrangères ; et derrière la foule armée, tout ce qui suivait, fonctionnaires civils, trafiquans, juifs, un flot dans lequel Du Breuil roulait comme une épave. Par bonheur, il rencontra une rude et joviale figure : l’abbé Trudaine, sa soutane relevée sur les mollets, cherchait vainement un conducteur pour le mener à Ars. Il consentit à venir au secours de sa détresse. Il avait eu seulement un geste désolé, murmurant : « Le pauvre enfant ! Dieu aura pitié de lui. Il a dû tant souffrir ! » Puis bonnement, simplement :
— Comptez sur moi, commandant, je dirai la messe pour votre ami. Il sera enterré chrétiennement, ou j’y perdrai mon nom. Nous ne devons avoir, en une pareille heure, que des pensées d’humilité.
Mais soudain, ses yeux flamboyèrent, il brandit son bâton noueux :
— Il n’y a qu’un homme ici qui soit indigne de pitié ! c’est le Judas qui nous livre !…
L’image de Restaud inerte poursuivait Du Breuil. Il le revoyait, avec cette paix grave sur le visage, comme si dans la mort seule il avait trouvé l’apaisement final ; et aussitôt, Restaud surgissait plein de vie, de foi ardente, une lueur dans ses yeux de fièvre… Il le confrontait avec l’autre, et il ne pouvait croire à un malheur si soudain. Restaud allait se lever sur sa couche. Il