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notre commandant en chef nous abandonne, lorsque la sentinelle du dernier poste va lui crier : « Avance à l’ordre ! » Bazaine, pour réponse, devra jeter le nom d’un traître !

— Quand le hasard s’en mêle ! dit amèrement Du Breuil, en pensant au calendrier.

Floppe, changeant d’idée, ricana :

— Je viens de rencontrer le lieutenant-colonel Gex !

Quelques exclamations de surprise se firent entendre. Floppe, ravi, poursuivait :

— Parfaitement. Il vient d’être nommé in extremis !… C’est une chose inouïe que la curée de ces derniers jours. La maison du maréchal n’a pas désempli. Ceux qui l’avaient le plus attaqué coudoyaient dans son antichambre les pires flagorneurs. Pour un ruban dû, vingt de complaisance. Des aiguillettes, des croix, des étoiles… Les formules régulières épuisées, Bazaine s’est mis à signer, à signer sur des feuilles de papier blanc. Il paraît que l’employé du ministère, détaché à son cabinet pour ce service, lui a fait remarquer l’irrégularité de pareils actes. Bazaine a répondu : — « Qu’importe, puisque cela leur fait plaisir. Vous savez bien que tout cela ne sera pas ratifié ! »

Il y eut un instant de gêne. Du Breuil pensait à Mourgues.

— Savez-vous, reprit Décherac, une des raisons qui ont fait accepter à nos ex-chefs les dures clauses de la convention ? J’étais hier dans le cabinet des aides de camp du maréchal, quand un homme de cœur, un intendant de la Garde, ami de Bazaine, est accouru tout frémissant, la copie de l’ordre général à la main. — « Où est le maréchal ? a-t-il crié. — Son Excellence ne reçoit pas. — Mais vous me connaissez bien ! On me reçoit toujours ! — Le maréchal ne reçoit personne. » Alors, comme il exhalait son indignation, une voix s’est élevée, ripostant : « Il fallait bien sauver nos bagages ! »

Décherac lui apprit ensuite l’insuccès de la sortie tentée la veille sur la route de Sarrebrück par les derniers perceurs. Ils étaient à peine soixante. Un rapport du général de Gissey les ayant dénoncés, quelques-uns seuls avaient pu s’échapper. En ce moment la Garde, comme les troupes d’avant-postes, versait ses chassepots. Le maréchal les lui avait laissés jusqu’à cette minute, pour assurer le maintien de l’ordre. Hier même, trois bataillons de voltigeurs avaient été envoyés à Metz, pour contenir l’émeute.

Un bruit de galop retentit. Le capitaine Yung, qui avait pris