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REVUE DES DEUX MONDES.

— Et moi, fit Krudger, je vous soutiens qu’il y a des ressources cachées !

La discussion déjà s’envenimait. Ils se reprochaient aigrement leurs divergences d’opinion. Ils s’épuisaient à chercher un moyen d’issue. Les projets de l’un semblaient absurdes à l’autre.

— Le conseil municipal, dit Bcrsheim, s’est laissé berner comme un enfant.

Krudger, à ces mots, qui atteignaient son fils, entra dans une vive colère. Ainsi les deux Messins se consumaient dans une rage impuissante, une désolation stérile.

Le brouhaha croissant se fondait en une seule clameur. Ils arrivaient à la place d’Armes. Elle était couverte de monde. Ce n’étaient que groupes gesticulans, furieux courant par bandes. Les uns se ruaient vers la rue de la Princerie, où logeait Coffinières. D’autres agitaient des drapeaux. Le long de la cathédrale, des gardes nationaux achevaient de désarmer une compagnie qui portait ses fusils à l’Arsenal. Les soldats bonnement se laissaient faire. Quelques énergumènes brandissaient des chassepots, se distribuaient des cartouches pillées dans les postes. Des coups de feu, çà et là, partirent. Du Breuil reconnut dans un attroupement le rédacteur d’un journal de Metz, qui, monté sur un grand cheval, vociférait la Marseillaise, en déchargeant en l’air son pistolet. Une haute et belle femme, taillée en déesse de la Liberté, lui tenait la bride. Soudain devant eux l’éternel capitaine de carabiniers surgit, débraillé, hagard : « En avant, mes amis, hurla-t-il. Suivez-moi ! Je joue ma tête, mais je m’en f… ! » Une formidable poussée fit diversion, du côté de la cathédrale. Les portes enfoncées cédaient ; la foule envahissait les tours. Une grappe d’hommes vigoureux se pendit à la Mutte, et sur la place d’Armes en délire, sur Metz et sur l’armée, l’énorme cloche des jours de deuil secoua jusqu’aux campemens ennemis ses gémissemens funèbres, auxquels se mit à répondre, d’église en église, l’appel sanglotant des tocsins.

Des acclamations et des cris retentirent. Un garde national, le drapeau tricolore à la main, devant la statue de Fabert voilée de crêpe, proclamait la République. Sur le tumulte de la ville, la Mutte secouait ses lamentations. À toute volée, la cloche lorraine exhalait sa fureur entrecoupée de plaintes. C’était la voix même de l’antique cité. Dans les vibrations du bronze passaient les cris rauques de Metz l’inviolée, la malédiction des mères, le râle des