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LE DÉSASTRE.

pitulation, c’est s’avouer solidaire de Bazaine. Partage qui veut son infamie ! Je ne mange pas de ce pain-là !

Il y eut un bref silence. Judin, de sa main valide, chercha celle de Du Breuil, qui, blême de rage, contemplait d’Avol, les lèvres serrées.

Celui-ci reprit :

— Que tous les gens de cœur m’imitent ! Et demain, sur la terre de France, l’armée pourra dire : Rien n’est perdu, l’honneur est sauf !

— Laissez-moi, Maxime, fit Du Breuil, avec le calme d’un homme qui vient de prendre un parti suprême. Et se tournant vers d’Avol, il prononça :

— C’est parce que l’armée est faite de gens de cœur qu’elle ne vous imitera pas ! Et ne prenez pas souci de son honneur : il est au-dessus de votre jugement ! Mais libre à vous de fuir… Et demain, sur la terre de France, vous pourrez dire : Tout est perdu, l’orgueil est sauf !

— La trahison du chef délie le soldat, fit d’Avol, en haussant l’épaule. Il n’y a de chefs que pour combattre !

— Il reste des camarades pour souffrir !

— Des phrases ! Le bateau sombre. Chacun pour soi !

— Excuse de lâche qui déserte !

D’Avol bondit sous l’injure :

— Qui des deux est le lâche, de celui qui risque sa vie, ou de celui qui…

— Fait son devoir, trancha Du Breuil.

— Ah ! ah ! ah ! ricana d’Avol avec une raillerie insultante… Son devoir !… Vous savez quel est votre devoir, vous ?

— Oui, dit Du Breuil qui ne se maîtrisait qu’avec peine. Le devoir, dans un malheur pareil, est de faire ce qui nous coûte le plus.

D’Avol sourit outrageusement :

— Vrai ? La prudence vous coûte ? J’aurais parié, moi, pour la bravoure…

— Vous en avez menti ! proférait Du Breuil.

Le mot claqua comme un soufflet. D’Avol vit rouge et s’élança. Mais Judin, Carrouge, d’autres s’interposaient. Le capitaine de Serres et le lieutenant Thomas entraînaient leur commandant, qui, furieux, tournait la tête à chaque pas, crachait encore des injures.