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LE DÉSASTRE.

ni magasins pour ses approvisionnemens. La ville même y eût perdu quelques vitres, cassées par l’explosion. Elle y gagnait de s’étendre, de respirer librement hors du corset de pierre qui l’étouffe. Mais allez donc chercher du patriotisme et de l’énergie chez tous ces généraux engraissés par l’Empire, des bons à tuer, qui ne regrettent qu’une chose, leur eau de vaisselle, et soupirent après la niche !

Carrouge haussait les épaules. L’exaltation de Barrus s’en accrut. Il eut un ricanement de rage.

— Ah ! ah ! nous avons fortifié Metz, depuis deux mois… Nous avons bien peiné, bien sué !… Mais sa voix subitement s’apaisait : — Il reste de la besogne ailleurs. J’en ai assez, moi, de travailler pour le roi de Prusse !

Il partit en gesticulant :

— Drôle de pistolet ! grommela Carrouge. Comme si la politique avait quelque chose à voir là dedans !

Impérialiste convaincu, il gardait en lui-même la religion du passé ; les fautes de l’Empire lui restaient cachées ; il admettait hier encore que, fidèle à son serment, l’armée sortant de Metz avec armes et bagages allât contribuer à une restauration ; mais, réduit à la brusque horreur de capituler, il n’avait plus aujourd’hui qu’une seule pensée : à tout prix sortir de là.

Ils arrivaient aux jardins qui bordent à gauche l’extrémité de la rue des Carmes. L’Arsenal se dressait devant eux dans sa double ceinture de murs et d’eau. Comme ils allaient franchir, après la première porte, un étroit petit pont, ils aperçurent des officiers d’infanterie qui venaient en sens inverse, parlant haut, avec l’émotion la plus vive. Du Breuil reconnut, dans le groupe, le bon visage bouleversé de Védel.

— C’est toi, Pierre ! s’écria le capitaine en lui prenant fiévreusement les mains. Ce qui m’arrive est affreux !

Il montra la copie d’un ordre. De ses doigts malhabiles, il déplia le papier. Du Breuil lut d’un coup d’œil ; c’étaient les dernières prescriptions de Bazaine, relatives aux aigles. Il crut entendre la voix blanche de Massoli relire dans un marmottement : «… et transportés à l’Arsenal de Metz. Vous préviendrez les chefs de corps qu’ils y seront brûlés… »

— Eh bien ? demanda-t-il.

— Eh bien, dit Védel, le fourgon est passé hier dans le camp, à la nuit tombée, pour enlever le drapeau, comme un mort hon-