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LE DÉSASTRE.

çant que les honneurs de la guerre seraient accordés à l’armée française, et l’épée laissée à tous les officiers. Il était ensuite parti avec Samuel et Fay pour Frescaty. Le colonel Nugues le remplaçait. Voilà tout. Ah ! si, pourtant !… le capitaine de Mornay-Soult, de la part du maréchal, était venu dire à Nugues, il y a un quart d’heure, de terminer une lettre d’affaires courantes, destinée aux commandans de corps, par le post-scriptum suivant : « C’est par erreur qu’en donnant l’ordre de porter les drapeaux à l’Arsenal, on a omis de dire qu’ils y seraient brûlés. » Et Nugues, surpris, — car personne ne connaissait ce premier ordre ! — était allé se renseigner auprès de Bazaine…

Mais tous les yeux se tournaient vers la porte. Le colonel Nugues rentra. Il tenait à la main deux minutes d’ordres.

— Écrivez, messieurs ! dit-il aux officiers de service :

Aux commandans de corps d’armée.

Veuillez donner des ordres pour que les aigles des régimens d’infanterie de votre corps d’armée soient recueillis demain matin de bonne heure

— Pourquoi demain ? songea Du Breuil. Il n’y a pas une minute à perdre, si l’on veut les détruire avant la capitulation.

«… demain matin de bonne heure par les soins de votre commandant d’artillerie et transportés à l’arsenal de Metz. Vous préviendrez les chefs de corps qu’ils y seront brûlés. Ces aigles, enveloppés de leurs étuis, seront emportés dans un fourgon fermé. Le directeur de l’arsenal les recevra et en délivrera des récépissés aux corps.

Signé : « Bazaine. »

— Et d’une ! fit le colonel Nugues. À l’autre, maintenant.

Au général Coffinières, gouverneur de Metz.

Veuillez donner des ordres pour que l’arsenal de Metz reçoive demain matin les aigles des régimens d’infanterie de tous les corps d’armée

La voix nette détachait les mots dans le silence. On entendait les plumes courir. Un secrétaire d’état-major enregistrait en même temps sur le livre de correspondance.

— Mais on ne lui prescrit pas de faire brûler les aigles, remarqua Du Breuil, l’ordre dicté.