Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
378
REVUE DES DEUX MONDES.

lui, lui, de Verdier, contraint d’écrire de sa main ces ordres honteux !… Car on avait beau parler d’inventaires et de restitution après la guerre ! Mensonges que tout cela ! Jamais les Allemands ne lâcheraient le morceau.

— Vous me croirez si vous voulez, mon commandant. Tout à l’heure, à la réunion des généraux d’artillerie, Soleille a vertement blâmé le général de Berckheim pour avoir mis hors d’état de service les mitrailleuses du 6e corps. Blâmé ! oui, blâmé ! Un acte de simple devoir militaire que l’armée entière devrait imiter !

— Et les drapeaux ? demanda Du Breuil.

De Verdier blêmit :

— Là, c’est à devenir fou !… Nous avons prévenu ce matin les commandans de corps qu’ils aient, par ordre du maréchal, à les faire transporter à l’Arsenal. De son côté, le colonel de Girels, directeur, a reçu l’ordre de les conserver. Ils feront partie de l’inventaire dressé par une commission d’officiers français et prussiens.

Il éclata d’un rire strident. Du Breuil s’éloignait, stupide. Chaque minute écoulée, c’était un peu de lui-même qui s’en allait, se dissolvait. Toutes ses notions d’honneur s’enfuyaient d’un vol lourd. De quel vertige ces hommes étaient-ils donc frappés ?

En passant devant la maison de Bazaine, un mouvement inusité le surprit. Au Quartier-général, même rumeur. Il y avait eu, le matin, grande pluie de récompenses. Quelques-unes avaient éclaboussé l’état-major. Francastel arborait un dolman neuf, liséré de quatre galons. Une croix neuve brillait sur la poitrine de Massoli. Il se rengorgeait avec modestie, coulait de temps à autre vers sa rosette un regard satisfait.

— Elle a fini par venir. Ce n’est pas trop tôt, répliquait-il au bref compliment de Du Breuil.

Mais Francastel s’élançait vers son ancien chef, et lui prenant les mains, il les lui serrait, familièrement. Il était plus que jamais résolu à trouer ! Même, déclara-t-il avec une incroyable impudence, il avait assisté à la grande réunion de l’après-midi, à l’hôtel du Nord. Tout allait pour le mieux.

Du Breuil, qui ne se souvenait pas de l’avoir vu, écœuré, lui tourna le dos. Peu de figures amies : Restaud, Décherac, Laune étaient absens. Il s’informa des événemens auprès du gros Jacquemère. Sa fluxion l’avait repris. On ne savait rien. Jarras avait reçu, dans l’après-midi, une lettre du général de Stiehle, annon-