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LE DÉSASTRE.

lieu. Un capitaine de carabiniers a donné le branle. Les chefs de bataillon de la garde nationale ont promis leur concours. Il y a longtemps, d’ailleurs, que tout cela se machine. Ladmirault et Changarnier ont eu beau refuser de prendre la tête du mouvement. Il reste d’autres généraux, Dieu merci ! Clinchant d’abord. On parle aussi de Boisjol… Vous en êtes ?

Du Breuil, bouleversé d’espoir, sauta sur cette idée. Judin poursuivait :

— Vous ne savez donc rien ? Charlys ne vous a pas proposé de signer le petit papier ? C’est un des meneurs !… Mais lui veut seulement la trouée, c’est-à-dire, n’est-ce pas ? ce que l’honneur commande !

Du Breuil acquiesçait gravement, d’un signe. La pensée de Restaud cependant le troublait.

— Quelques mécontens vont plus loin, reprit Judin. Ceux-là ne parlent rien moins que de déposer le maréchal et d’offrir le commandement au plus digne. — Il clignait de l’œil : — D’Avol, Barrus, d’autres, que vous connaissez, prêchent de la sorte. Ça, c’est un peu sévère, tout de même.

Du Breuil songeait : le Gouvernement provisoire, le 4 septembre n’a pas fait autre chose. L’Empire lui-même est né d’un coup d’État. Pas un pouvoir qui ne soit issu de la violence, et fondé sur le mépris des lois précédentes, réputées bonnes jusque-là ! Mais une voix secrète lui souffla : Aux ambitieux de penser ainsi. Obéis et tais-toi. L’armée n’a de raison d’être que disciplinée. Seule, la discipline, sourde, muette, aveugle, fait sa grandeur et sa force… Et de nouveau, le cri du bon sens dominait : l’obéissance passive, aujourd’hui, serait un crime. Lorsque le général en chef perd la tête, manque à ses devoirs et livre ses troupes, les subalternes ne doivent prendre conseil que de leur courage et de leur attachement au pays…

— Les officiers du génie, disait Judin, ont décidé le colonel Boissonnet à se mettre à leur tête. Clinchant, dès qu’il aura vingt mille hommes, prendra le commandement général. Réunion pour se compter, cet après-midi à une heure. Vous serez trente mille demain !

Oui, c’était la délivrance, le salut ! Du Breuil, avec une joie fiévreuse, crut enfin discerner son véritable devoir. Que d’Avol et Barrus conspirassent à leur guise ! Que Bazaine et ses généraux tendissent le cou vers le carcan final, lui, Du Breuil, obscur sol-