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LE DÉSASTRE.

sée de l’armée le hantait. La pluie tombait toujours, le vent faisait rage. Et les baraques de planches croulaient dans la boue ; les toiles de tente, arrachées, claquaient comme des débris de voilure… Cette foule innombrable, dormant à même son cloaque d’un sommeil de brute ou rêvant comme lui, morte vivante, il la revit toute la nuit, roulée dans son suaire fangeux…

Une aube grelottante blêmissait aux carreaux. Restaud, les traits tirés, entra dans la chambre, suivi de Décherac. Du Breuil, d’un bond, était debout. Eh bien ?… Restaud n’avait pas fermé l’œil. Décherac non plus. Logé dans la même maison que le commandant Samuel, il avait appris le premier les nouvelles, au retour de celui-ci, à trois heures du matin. Impossible de se rendormir.

Il dit la lenteur du voyage sous la pluie jusqu’à Metz, les vitres brisées, les chevaux refusant d’avancer. À la Porte de France, les trois parlementaires se morfondaient, le vent empêchant les paroles des sentinelles d’arriver jusqu’au portier-consigne. Ils parvenaient enfin à trouver une autre voiture, sortaient de la ville à dix heures. Aux avant-postes, pied à terre ; un vent violent, qui charriait une grêle froide, éteignait le fanal. On marche comme des machines, la tête encapuchonnée. Soudain, Wer da ? c’est le poste ennemi…

— Bref, fit Décherac, ils arrivent à Frescaty. Jarras et Stiehle ont discuté longtemps dans une pièce, pendant que Samuel et Fay attendaient deux mortelles heures dans le salon voisin, silencieux, face à face avec les officiers d’état-major allemands. On les a appelés à leur tour. Stiehle s’est mis à dicter les clauses sur lesquelles Jarras et lui venaient de tomber d’accord. Du Breuil et Restaud se regardèrent.

— Art. 1er continua Décherac, l’armée française est prisonnière de guerre. — Art. 2, la forteresse et la ville de Metz, avec tous les forts, le matériel de guerre, les approvisionnemens de toute sorte, et tout ce qui est propriété de l’État, seront rendus, samedi 29 à midi, à l’armée prussienne, dans l’état où tout cela se trouve au moment de la signature de la convention… À l’article 3, la discussion a repris. « Pour reconnaître le courage de l’armée française, était-il stipulé, le roi autorise à rentrer chez eux, avec leurs épées, les officiers qui voudraient s’engager à ne plus servir contre l’Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. »

— Oh ! fit Du Breuil, le visage empourpré.