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cette métamorphose d’une société dans l’espace d’une existence humaine, ces conditions royales subitement abaissées au niveau commun, ces destinées particulières élevées à la splendeur royale, cet avenir tout à coup ouvert sans limite aux ambitions, ce droit d’aspirer raisonnablement à l’impossible, tout contribuait à retenir dans les horizons si élargis de la vie présente la pensée et l’intérêt passionné des hommes, à rendre moins nécessaires les espérances d’un autre monde, à accuser de faiblesse, de caducité, de duperie la vieille morale de la patience, de la modération, du détachement, à répandre la religion de la matière et de la force. Le bruit des canons avait couvert le son des cloches. Partout, l’Église avait vu son influence entamée, ses frontières ouvertes, et dans le peuple qu’elle inspirait autrefois tout entier, maintenant incomprise, oubliée, muette, elle ne gardait qu’une minorité de fidèles autour de la hiérarchie sacerdotale.

Non seulement cette Église n’a pas été soutenue par l’État, elle a été sans cesse attaquée par lui. Le pouvoir prend les formes les plus opposées et passe dans les mains les plus diverses comme pour signifier par plus de preuves à l’Église l’inanité du rêve qu’elle poursuit. Elle a dû lutter toujours et contre la haine et contre l’ambition. Ni l’ambition, ni la haine n’ont apporté au catholicisme des épreuves qu’il ne connût pas : après tant de siècles où les passions humaines se sont ingéniées contre lui, rien ne reste plus à inventer. La nouveauté ici est dans la violence, dans la durée, dans les ressources de ces passions. Dix années les hommes de sang se sont succédé dans un gouvernement collectif où leur cruauté se multipliait de leur nombre, où ils étaient frappés eux-mêmes s’ils devenaient suspects de pitié. Quinze années, dans la toute-puissance du pouvoir absolu, le plus universel, le plus fort et le plus heureux des génies a poursuivi l’entreprise. Il a rassemblé contre l’Église toutes les chaînes éparses à travers les âges, il la chargée de toutes ensemble en même temps. Napoléon s’est dit Charlemagne, que d’autres noms il mérite mieux ! Il a rajeuni les prétentions de Louis XIV, il a voulu restaurer une pragmatique sanction comme Charles VII et, comme Philippe le Bel, faire de la papauté l’otage de la France. Nos rois n’ont pas suffi à lui fournir des modèles, il a ressuscité la querelle des investitures avec la violence d’un Barberousse et la subtilité d’un Frédéric II. Il a su enfermer sous sa couronne impériale tous les despotismes religieux. Et pourtant cette Église