elle n’avait pas songé que, dans un monde où tout changeait, elle dût renouveler ses moyens d’influence. Comme sous l’ancien régime, elle avait mis sa moindre confiance en elle-même, dans les inspirations spontanées de son zèle, dans l’énergie conquérante de sa doctrine et de ses vertus, elle avait placé son principal espoir dans son accord avec l’État et dans l’orthodoxie impérative des lois. C’est pour obtenir ces avantages qu’elle avait offert aux gouvernemens nouveaux son influence et la plus obéissante fidélité. Or l’État né de 1789, quels que fussent sa forme et ses chefs, obéissait à un concept tout contraire à celui de l’État chrétien. La sagesse humaine prétendait créer dans les sociétés un ordre indépendant des croyances religieuses et ne voulait plus mettre la force du gouvernement au service de l’Église. Les assemblées révolutionnaires avaient tourné ces forces contre elle : Napoléon seul lui avait rendu la paix, mais non la vieille union, il s’était refusé à se concerter avec l’autre puissance, à inspirer ses lois des préceptes catholiques, à tenter par son influence politique une propagande religieuse. Ainsi, après le sommeil séculaire où elle avait laissé endormir son zèle, confiante que l’État veillait pour elle, l’Église de France s’était réveillée veuve des gouvernemens dévoués à sa défense, et déshabituée de se défendre elle-même. Alors apparut combien trompeuse avait été la force apportée aux croyances par le concours du pouvoir sous l’ancien régime, combien peu ce catholicisme de surface pénétrait les âmes. L’hostilité de la Convention et du Directoire, l’indifférence moitié protectrice et moitié dédaigneuse de l’Empire, avaient suffi pour détacher du christianisme les multitudes accoutumées à chercher la règle de leur foi religieuse dans la souveraineté politique. A l’abandon du pouvoir s’était ajoutée l’hostilité des circonstances. La vente des biens ecclésiastiques avait instruit leurs acquéreurs, autre multitude, à ne plus croire pour posséder en paix, et l’intérêt avait introduit le scepticisme dans les rangs pieux, mais cupides, des bourgeois et des paysans. Les guerres perpétuelles avaient jeté presque toute la jeunesse dans les armées, les mœurs chrétiennes s’y étaient dissoutes dans une éducation de licence et de rapine ; les généraux, qui s’étaient révélés au plus fort des excès intérieurs, avaient donné le ton d’une impiété grossière ; l’amour violent et héroïque de la patrie menacée avait remplacé pour beaucoup de nobles cœurs tout autre culte d’idéal et de sacrifice. Enfin tout le drame de cette prodigieuse époque,
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