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C’est l’heure, en effet, où Napoléon envahit, après les États, les croyances de l’Église. Devenu lui-même théologien, il veut là aussi porter la grande guerre, substituer aux transactions provisoires une organisation définitive, et « établir les choses comme s’il n’y avait pas de Pape[1]. » Il est venu, par ses généraux, à bout du pouvoir temporel ; il détruira l’omnipotence religieuse du Souverain Pontife par les évêques. L’épiscopat est la puissance intermédiaire qui unit le clergé au Pape, Napoléon veut se servir d’elle pour les séparer, et, par cette puissance qu’il accroîtra, dominer et annuler les deux autres.

A son ordinaire, il prend prétexte de ce qui vient de lui être refusé pour accroître ses exigences. Le Pape, en refusant de pourvoir aux vacances des diocèses, a abdiqué un droit dont l’exercice est nécessaire à l’Église. L’autorité la plus haute après celle du Pape est celle des évêques. Il y a eu en France des époques où les nouveaux évêques étaient, sans intervention du Pape, institués par les évêques anciens. A l’épiscopat de recueillir la fonction que le Pape déserte. La conjoncture est d’autant plus propice pour restaurer cette tradition, que toute la prépondérance enlevée au Pape accroîtra celle de l’Empereur. Grâce au Concordat, Napoléon choisit depuis dix ans l’épiscopat de la France, d’une France qui s’étend sans cesse : il possède sur les prélats nommés par lui une influence que la rupture du Concordat ne saurait détruire. Lequel de ces prélats, si le droit d’investiture leur est rendu, hésitera à donner les sièges vacans aux candidats de l’Empereur ? Celui-ci alors, au lieu de partager avec le Pape, le privilège de nommer les évêques le possédera tout entier. Comme il gouverne maintenant le plus grand nombre des catholiques, le plus grand nombre des évêques dépendra de lui, c’est dire qu’il disposera de l’épiscopat. Si le Pape, tiers importun, essaie de troubler l’ordre ainsi établi, cet épiscopat, maintenu dans le respect des doctrines gallicanes, aura conscience qu’assemblé, il est supérieur au Pape, et la menace d’un concile œcuménique disciplinera les prétentions pontificales. En prenant parti entre les deux premières puissances de l’Église, en abaissant celle qui ne dépend pas de lui, en élevant celle qu’il tient sous sa main, Napoléon travaille pour lui seul et se prépare sur le catholicisme un pouvoir supérieur à celui de Charlemagne et de Constantin.

  1. Napoléon. Note pour le ministre des cultes, 10 avril 1810.