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et indiscutée, ni la légitimité nouvelle, c’est-à-dire la volonté des peuples, ramenait par le génie d’un homme le monde à la barbarie.

Napoléon avait triomphé à Wagram quand cette petite feuille de papier, détachée d’une basilique romaine, vint rouler jusqu’aux pieds de son cheval, sur un sol de victoire. C’est l’heure où les plus fiers souverains ne lui refusent plus rien, ni leurs armées pour écarter de leur littoral le commerce, ni leur territoire pour accroître son empire, ni leur fille pour perpétuer la race qui doit perpétuer leur dépendance. Seule une puissance, indépendante de lui jusque dans la captivité qu’il lui a faite, le juge et le condamne, voilà le désordre qu’il ne tolérera pas. Il affecte de railler, mais il est atteint : les mots de mépris et d’outrage coulent de sa colère comme le sang corrompu d’une blessure. C’est la force qui a peur de la faiblesse, et que la peur rend cruelle. Pour le repos des peuples catholiques, il ne faut pas que la sentence soit connue ; pour le prestige impérial, il ne faut pas qu’elle reste impunie. Il n’est qu’un moyen de frapper Pie VII dans sa personne pour la rébellion passée, et d’étouffer sûrement les rébellions futures : la captivité. De là l’enlèvement du souverain pontife, avec toutes les rigueurs que le zèle des subalternes ajoute aux ordres du maître, de là l’internement à Savone[1]. Loin de cette Rome où les souvenirs de sa souveraineté renouvelaient sans cesse les douleurs de sa déchéance, séparé de « la prêtraille » qui le gouvernait, délivré des congrégations et des archives où l’orgueil romain lui donnait des ordres, Pie VII sera rétabli dans sa douceur et dans sa simplicité natives, elles lui rendront facile l’oubli de sa souveraineté temporelle, et suffisantes les joies et les responsabilités de son magistère religieux.

Car l’Empereur entend que le Pape continue à exercer le pouvoir spirituel. Depuis que la querelle de souveraineté politique s’est ouverte, Pie VII a ajourné d’instituer les évêques nommés par l’Empereur et déjà vingt-sept diocèses vaquent en France : maintenant qu’elle est close, Napoléon presse l’envoi des bulles. Pie VII ne peut se faire d’illusions : aucune puissance ne s’est intéressée à son sort, les catholiques ignorent ses souffrances, le clergé lui-même n’a pas osé les plaindre ; il est seul, avec sa conscience. Elle lui dit, comme l’Empereur, que pour les intérêts

  1. 5 juillet 1809.