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plus à Napoléon que sa suprématie s’exerce en fait, il veut qu’elle soit reconnue pour le droit. Par le blocus continental, il donne des lois aux peuples étrangers comme aux siens, et prescrit à l’Europe de fermer tous ses ports aux Anglais. Le Pape ose répondre que l’Église, société de paix entre les hommes de toute race, ne prend point parti dans les querelles des nations. L’Empereur avertit que l’heure est venue de faire cause commune avec lui ou d’être dépossédé[1]. Après Tilsitt, il veut à la fois l’obéissance et les États du Pape. Cette puissance russe, dont on n’aperçoit les limites ni sur le sol ni dans les âmes, occupe et humilie sa pensée, il étouffe dans son petit Occident : au moins faut-il que nulle enclave ne l’y gêne, que nulle contradiction ne l’y blesse. Il ne continue avec le Saint-Siège des négociations que pour rejeter sur le gouvernement pontifical les torts de la rupture. Nos troupes s’établissent à Rome le 2 février 1808, au moment où, poussées par la même avidité de conquêtes, elles franchissent aussi les Pyrénées. Les embarras immédiats de l’Empereur en Espagne ne lui laissent, cette année, que le loisir des violences préparatoires contre la Papauté. Mais 1809 ramène les succès et, de son camp sous Vienne, le 17 mai, Napoléon « révoque la donation de Charlemagne » et réunit les États romains à l’Empire.

La perte de la couronne était alors un accident ordinaire pour les princes : la prudence humaine leur enseignait à ne pas se révolter contre l’inévitable, et à s’assurer, par leur résignation à leur chute, un reste d’avantages ou de sûreté. Le Pape montra qu’il n’était pas un prince comme les autres. Sans crainte pour ses périls personnels, le jour même où furent abattues dans Rome les couleurs pontificales, il lança contre le maître du monde une sentence d’excommunication[2]. Elle n’était pas le premier accès d’une colère irréfléchie, elle avait été d’avance, en prévision de l’événement, résolue et rédigée par le Sacré-Collège. Elle n’était pas un vain retour vers le moyen âge et Pie VII n’espérait pas qu’une bulle fixée par quelques serviteurs fidèles aux portes des basiliques paralysât le bras de l’Empereur ; elle était un hommage au droit, qui est de tous les temps. Elle était une protestation solennelle contre la force effrénée qui, ne respectant en Europe ni la légitimité ancienne, c’est-à-dire la possession traditionnelle

  1. 12 novembre 1806, entrevue de Napoléon et de Mgr d’Arezzo à Berlin.
  2. 10 juin 1809.