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scrupule des inconséquences conformes à ses intérêts. Il tenait compte de la suprématie pontificale à la fois comme d’un fait présent et comme d’un danger à venir. Ainsi il se servait du Pape comme d’un introducteur auprès de l’Église française ; mais, après avoir obtenu par le Pape l’autorité sur cette Église, il se ménageait les moyens d’opposer à la papauté, puissance trop indépendante de lui, un clergé sur lequel il aurait la main. Il exige donc de la Cour romaine, comme condition du traité, la reconnaissance des doctrines gallicanes. La Cour romaine est alors un collège de vieillards, désolés dans leur foi par la révolution, victimes de ses victoires, désarmés contre ses violences, et, par les habitudes de leur vie et le génie de leur race, accessibles à la crainte et portés aux accommodemens. Lui est la force, la jeunesse, la gloire ; partout où il parle, il ordonne ; arbitre de l’Europe, il tient en ses mains et la paix religieuse, que d’un mot il va consacrer ou rompre en France, en Hollande, en Belgique, sur les bords du Rhin, en Italie, et la souveraineté temporelle du Saint-Siège, qu’il peut restaurer en rendant les Légations, ou détruire en prenant le reste des États pontificaux. Et dans Napoléon deux hommes apparaissent pour porter tour à tour à l’extrême l’espérance et la terreur : l’un, caressant, souple, séducteur, se montre prêt à étendre partout sur l’Église l’aile de ses victoires, fait entrevoir combien il cache encore de respects et de faveurs toutes prêtes pourvu qu’on ne décourage pas sa bonne volonté, laisse espérer que le retour des Légations à l’Église serait le prix d’une entente ; l’autre, à la moindre résistance, « chausse les bottes de 1793 », comme il l’a dit lui-même, reprend la langue révolutionnaire des invectives et des menaces, tantôt emportées, tantôt dédaigneuses, annonce que les États pontificaux paieront pour la rupture, et que « Rome versera des larmes de sang. » Jamais il n’eut sur la papauté autant de prises que dans ces premières négociations : l’Église n’avait pénétré encore ni le vide de ses caresses, ni la diplomatie de ses colères. Elle savait tout le prix des solides avantages qu’il offrait en échange d’une formule. Mais consentir cette formule, c’était changer, par l’autorité du Pape et contre l’autorité du Pape, la doctrine catholique. On vit là que maintenir cette doctrine intacte est l’essentiel pour l’Église. Malgré tant d’intérêts, si étendus ou si proches, elle n’hésita pas à préférer toutes les chances d’une rupture à la consécration du gallicanisme renaissant. Bonaparte, qui voulait le traité,