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par l’unité de cette éducation l’harmonie des intelligences et la solidité des caractères ; craignant que des hommes ainsi élevés appartinssent trop à l’Église pour être assez à lui, Napoléon voulait diriger seul par son Université l’intelligence et la volonté des Français, et déterminer la dose où le sentiment religieux accroîtrait en eux la vertu des sujets, la soumission. Et l’Empereur crut avoir couronné l’œuvre quand, après son sacre, il eut ajouté au catéchisme le chapitre sur « les devoirs des chrétiens envers l’Empereur. » L’Église n’était plus la mère : elle était la parente pauvre qu’un riche parvenu nourrit, mais au bout de la table, qu’il traite avec un mélange d’égards et de dédains, qu’il installe dans une autorité utile et subalterne, qu’il empêche de se créer ailleurs d’autres ressources, et dont il prolonge tout ensemble la vie et la dépendance.

Mais prévenir toute chance d’usurpation religieuse n’était que la moitié du dessein conçu par Napoléon. Il voulait, de plus, employer à son gré cette force réduite, docile, et tenir prête pour ses combinaisons humaines une sorte de sanction divine. La confusion du pouvoir politique et du pouvoir religieux formait l’autorité parfaite, c’est-à-dire pour Napoléon l’autorité nécessaire. Son génie, en chasse à travers l’histoire pour y faire lever les exemples qui justifiaient, nourrissaient et excitaient son insatiable faim d’omnipotence, voyait dans cette confusion une loi générale. Elle avait gouverné le monde antique où l’empire donnait à son possesseur la divinité par surcroît ; elle gouvernait la plus grande partie du monde moderne où, comme dans la société musulmane, l’empire russe, les chrétientés détachées du catholicisme, le chef de l’État se trouvait le chef de l’Église. Napoléon ne pouvait suivre ces exemples, parce que le centre et la force de son empire étaient formés de contrées catholiques. Mais s’il consentait que la hiérarchie catholique donnât seule des ordres à la conscience religieuse, il entendait que cette hiérarchie recommandât toutes les volontés du prince à la soumission des peuples. Par ce détour même. Napoléon comptait s’assurer une domination plus parfaite qu’elle n’appartient aux chefs couronnés des autres religions : l’Église, par cela même qu’elle semblerait libre, serait plus efficacement servile, et l’accord des deux pouvoirs en apparence indépendans pèserait d’une double autorité sur les âmes.

C’était le terme logique de la marche commencée sous l’ancien régime, interrompue parce que les scrupules du sentiment