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représailles gouvernait même les revanches du droit ; comme si, malgré son baptême de sang, l’Église gallicane avait encore à expier : comme si, enfin, devait se mesurer à l’importance des institutions et des hommes sacrifiés le caractère suprême du droit pontifical. Et pas plus qu’il n’y eut hésitation dans le commandement, il n’y eut hésitation dans l’obéissance. Seuls trente-six évêques, sur les quatre-vingt-dix qui survivaient de l’ancien épiscopat, refusèrent leur démission. Cela parut une manifestation d’émigrés et ne troubla personne. Pie VII passa outre, les nouveaux prélats occupèrent les nouveaux diocèses. Ainsi le Saint-Siège accomplit en France, à la sollicitation du pouvoir civil et avec l’assentiment de la nation catholique, l’acte le plus absolu d’autorité qu’il eût tenté dans sa longue histoire.

Il est vrai, cette souveraineté ne se déployait que pour confier en France le sort de la religion à un maître. Le Consulat n’était pas le retour, mais le perfectionnement de l’omnipotence monarchique. Sous l’ancien régime, l’arbitraire, s’il n’était pas contenu par le respect des volontés publiques, était contenu par ses propres traditions, et dans cette machine aux rouages multiples le despotisme s’usait en frottemens. Napoléon n’avait à compter qu’avec des hommes secoués au van et passés au crible de l’égalité, c’est-à-dire tous désassociés, tous semblables, tous fluides et doux sous la main comme le blé prêt à moudre. Aux habitudes volontaires de soumission que les derniers siècles de monarchie avaient créées, à l’impuissance de désobéir que toutes les transformations révolutionnaires avaient accrue, Napoléon venait ajouter toutes les perfections que le génie de la domination peut donner au pouvoir de l’État. Comme le dit Sieyès effrayé dès le premier jour, « il savait tout, voulait tout, et pouvait tout. »

C’est donc la dictature que l’Église acceptait. Non seulement elle la subit ; elle la préféra. Ramenée par l’échec des promesses libérales à son désir historique d’union entre l’Église et l’État, elle ne reconnaissait plus les bienfaits de cette concorde dans le sort qui lui avait été fait par la vieille monarchie. Les exigences de la couronne, de l’université et des parlemens avaient rendu sous ce régime l’Église dépendante de puissances trop nombreuses et trop jalouses. Disposée à chercher dans les événemens les desseins de la Providence, elle crut reconnaître en Bonaparte un de ces ouvriers extraordinaires à qui les ruines préparent des matériaux, dont la main puissante change pour des siècles l’ordre du